Biogaz
Dossier méthanisation Potentiel en BFC

Berty Robert
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Le conflit ouvert entre l’Ukraine et la Russie soulève, pour l’ensemble des Européens, une question très délicate : dépendants du gaz russe, devons nous continuer à en acheter, et donc à financer l’effort de guerre d’un pays agresseur ? De ce fait, la production de biogaz plus localisée revient au premier plan des préoccupations, notamment en Bourgogne-Franche-Comté.

Le 21 mars, à Ahuy, près de Dijon, Thierry Gay, directeur territorial régional Bourgogne GRDF annonçait, devant un public d’agriculteurs producteurs de biométhane ou porteurs d’un projet visant à en produire, l’organisation d’une série d’évènements. Plusieurs visites de méthaniseurs agricoles vont avoir lieu, sur des sites de Bourgogne-Franche-Comté (BFC). Le but est d’illustrer la capacité d’alimentation régionale en biogaz et l’intérêt de la faire croître. Le message du directeur territorial était symptomatique de l’évolution rapide et du changement de regard sur le biogaz issu de productions agricoles locales. La guerre entre l’Ukraine et la Russie en est évidemment la source. Le conflit jette une lumière crue sur le niveau de dépendance de l’Europe face au gaz russe. Ne pas agir sur cette donnée revient à financer les capacités de nuisance guerrière d’un pays agresseur.

Des projets remis en course

Dans ce contexte, produire du biogaz en s’appuyant sur les capacités agricoles locales permettrait-il à un pays comme le nôtre de se passer totalement du gaz russe, qui pourvoit aujourd’hui à 17 % de nos besoins ? Selon l’Association technique énergie environnement (Atee), les 383 unités de méthanisation déjà existantes en France (dont 323 agricoles) pourraient sans problème produire 15 % de plus qu’actuellement. Elles sont dimensionnées pour. Plus d’un millier est en projet mais la baisse des tarifs annoncée il y a un an avait conduit à l’abandon de certains. On peut penser qu’ils vont redevenir d’actualité à présent. En BFC, en 2021 et selon GRT Gaz, qui exploite plus de 2 500 km de réseaux de gaz sur la région, la consommation de cette énergie a atteint 21 TWh, en progression de 12 % par rapport à 2020. Sur cette même année, la méthanisation a progressé avec 12 sites injectant dans les réseaux, contre 7 l’année précédente, pour une capacité de production de 196 GWh/an, en hausse de 48 % par rapport à 2020. Cela représente l’équivalent de la consommation de plus de 17 000 logements. D’après GRDF, la consommation de gaz en France est d’environ 475 TWh, dont 75 provenant de Russie. Or, le potentiel de méthane renouvelable pourrait atteindre 320 TWh dont 130 TWh rien que pour la méthanisation. En BFC, quinze mises en service de méthaniseurs sont programmées pour 2023. Les perspectives d’injection à moyen terme (2024) atteignent 948 GWh/an. Selon Thierry Gay, toujours en 2024, en Côte-d’Or, 20 % du gaz consommé pourrait être du biogaz. Le potentiel de production semble donc au rendez-vous. Mais celui de la consommation existe-t-il ?

La question des réseaux

Cet aspect pose un défi technique. Les méthaniseurs sont dimensionnés pour répondre à un besoin quantifié au préalable. Si la quantité de gaz produite est trop importante par rapport aux besoins d’une population donnée, il faut pouvoir réorienter le surplus de production. Techniquement, c’est possible mais la question des capacités régionales de production de biogaz est étroitement liée à celle des réseaux de distribution. Jean-Charles Collin, ingénieur développement gaz vert chez GRDF BFC le confirme : « il y a d’abord, la question de la présence territoriale du réseau de gaz. On peut avoir des territoires avec énormément de gisements, mais difficiles à valoriser en raison de l’absence de réseau. À l’inverse, lorsqu’on dispose du réseau, on n’a pas toujours à proximité un gisement en biométhane suffisant. On ne peut injecter du gaz que si la production est consommée. Le réseau n’est pas un ballon de baudruche qu’on pourrait gonfler comme on veut. Un projet de biométhane a une production constante et pour qu’il puisse être rentable il faut qu’elle soit entièrement écoulée. L’effet limitant, c’est en été, où la consommation est logiquement moindre. Par exemple, sur la ville de Sens, dans l’Yonne, l’été, tout le réseau gaz est saturé par les projets biométhane. On peut faire varier légèrement la production à la hausse ou à la baisse d’un méthaniseur, mais on ne peut pas décider de l’arrêter ou de le redémarrer d’un coup, étant donné que la production est liée à du vivant (les bactéries qui digèrent la matière). À Sens, il n’y a aujourd’hui plus de place pour un autre projet de bio-méthanisation, sauf dans l’hypothèse où l’un des projets actuels n’irait pas à son terme. Il libérerait alors une place. De manière globale, en BFC, on doit regarder où il reste de la capacité d’injection ». Le réseau de gaz français est bâti sur un schéma dans lequel des grosses conduites véhiculent le gaz à une pression de 80 bars et alimentent ensuite les villes avec une pression ramenée à 4 bars, grâce à des postes de détente. « La mise en place de rebours, poursuit Jean-Charles Collin, est une solution technique par laquelle on pourrait pallier la saturation du réseau évoquée pour la ville de Sens : elle permet de recomprimer l’excédent de gaz qui ne peut pas être consommé localement et de le renvoyer vers le réseau de transport à 80 bars. Il est ensuite redirigé ailleurs en France ».

Quelles opportunités en BFC ?

Toutefois, les stations de rebours représentent de lourds investissements qui peuvent dans certains cas être pris en charge par les opérateurs gaziers, mais il faut un volume de gaz vert suffisant. « C’est envisageable pour le projet Sécalia de Dijon Céréales à Cérilly, dans le Châtillonnais, en Côte-d’Or. 3 000 Nm3/heure sont prévus en production ce qui suffira à saturer la consommation de Châtillon-sur-Seine et de Sainte-Colombe-sur-Seine ». La création d’un poste de rebours à Sainte-Colombe a été validée par la Commission de régulation de l’énergie (Cre) en 2021. « Dans ce cas, les opérateurs gaziers ont pris en charge cette installation. En revanche, Sens nécessiterait l’installation de deux rebours et, en regard des investissements que cela réclamerait, les projets biométhane ne sont pas suffisants ». Où trouve-t-on aujourd’hui des opportunités adaptées au réseau ? Jean-Charles Collin les détaille : « Dans l’Yonne, c’est le cas à Auxerre, ainsi que le long de l’Armançon de Saint-Florentin à Ravière. À Tonnerre il y a de la place pour un petit projet. Il y a aussi du potentiel le long de l’Yonne, du nord de Sens jusqu’à la Seine-et-Marne. Les secteurs allant de Villeneuve-sur-Yonne jusque Migennes peuvent accueillir des projets.

- Dans la Nièvre, le réseau étendu de Clamecy offre une possibilité de projet.

- En Saône-et-Loire, les opportunités se trouvent du côté de Mâcon, Montceau-les-Mines, Le Creusot et Chalon-sur-Saône.

- Dans le Jura, il y a de la place pour des projets de méthanisation près de Lons-le-Saunier.

- En Côte-d’Or, hormis Châtillon-sur-Seine déjà citée, l’antenne gaz alimentant Montbard peut accueillir des projets notamment à proximité de Semur-en-Auxois et de Venarey-les Laumes. Le réseau de Châtillon-sur-Seine et alentours, prochainement doté d’un rebours pourra accueillir un projet. Enfin, tout le secteur de Dijon et la zone de la route des vins peuvent accueillir des projets ». Dans ce contexte, une information mérite d’être notée : un porteur de projet qui veut injecter du biométhane dans le réseau public n’aura à sa charge que 40 % du coût de la canalisation de raccordement. Une mesure qui vient d’être annoncée récemment par le ministre de l’Énergie. Auparavant, le porteur de projet devait assumer 60 % du montant de ce raccordement.