Start-up
Ynsect, une entreprise « mi-ferme mi-usine »

Avec des milliards d’animaux, leur cheptel est sans conteste le plus nombreux de la région. Sur la zone Innovia de Damparis, l’entreprise Ynsect, « mi-ferme, mi-usine » selon le directeur du site Damien Robert, produit jusqu’à 6 tonnes de vers de farine par jour. Transformés en poudre protéique et en huile, ils servent à l’alimentation animale, à la fabrication d’engrais et à terme à l’alimentation humaine. Pour la première fois, des collégiens étaient invités à visiter les lieux, et à déguster des produits à base de vers de farine.

Ynsect, une entreprise « mi-ferme mi-usine »
Le directeur de l’usine Damien Robert a répondu aux questions des élèves. Les insectes sont élevés dans les bacs rouges à l’arrière-plan.

La communauté de commune de la Plaine Jurassienne organise régulièrement avec l’équipe pédagogique du collège de Chaussin, des visites en entreprises pour permettre aux élèves de découvrir différentes filières. Ce mardi 17 octobre, l’entreprise Ynsect a invité deux groupes de 10 élèves dans le cadre de la semaine du goût. Au programme : visite de l’entreprise et dégustation de barre énergétique à base de farine d’insectes, « afin d’éveiller les consommateurs de demain ».

A leur arrivée, les adolescents ont échangé avec le directeur des lieux, Damien Robert : « La production d’insectes a un double intérêt : écologique car elle permet de créer des protéines en utilisant peu d’eau et quasiment pas de terre, mais aussi alimentaire ».

Elevage de Ténébrio Molitor

L’usine jurassienne n’élève qu’une espèce : des scarabées « ténébrio molitor », dont les larves sont plus connues sous le nom de « vers de farine ». De ces larves, trois produits sont issus : de la farine, de l’huile et des déjections en granulés. Les deux premiers entrent dans la composition d’aliments pour animaux (chiens, chats, poissons, porcs et volailles) et les déjections dans la fabrication d’engrais.

Pour la visite, les élèves étaient guidés par Henri Jeannin, un précurseur puisqu’il s’est lancé il y a 20 ans dans l’élevage d’insectes vivants pour les animaleries. Dans la zone de transformation, 900Kg de poudre sont produits chaque jour à partir de 5 à 6 tonnes de larves. Les vers de farine sont plongés en hibernation par le froid avant d’être ébouillantés puis pressés pour être vidées de leur substance intérieure. Un séparateur de phase permet d’isoler huile, eau et protéines. L’eau qui s’évapore est aussi récupérée. Ce « Sirop d’insectes » entre dans la composition des croquettes animales.

Aucun goût

Dans la partie élevage, 3 000 milliards de larves grandissent dans des bacs en plastique empilés sur 17 mètres de hauteur. Ici, 18 générations d’insectes se côtoient. Pour les nourrir, Ynsect utilise du son de blé local, acheté au moulin de Parcey à quelques kilomètres de l’usine. Si 95% des larves sont destinées à être transformées en farine et en huile, les 5% restant atteignent le stade adulte pour la reproduction. Comme ailleurs, les insectes morts sont ramassés par un équarrisseur et servent à la production de biométhane. Un laboratoire vérifie en continu la qualité des produits finaux mais aussi l’état sanitaire des animaux.

Après la visite, place à la dégustation. Les élèves, plutôt curieux, ont goûté des barres protéinées « chocolat-orange » et « chocolat-banane » à base de farine de vers. « Cette farine contient jusqu’à 72 % de protéine et n’a aucun goût, » précise Damien Robert. « Il n’y a pas de lactose, ces barres sont donc très digestes. C’est un produit idéal pour les sportifs ».

S.C.

A l’heure de la dégustation, les collégiens se sont montrés curieux et n’ont pas hésité

Une entreprise agricole ?

Si de l’extérieur, Ynsect a tout d’une usine agroalimentaire comme une autre, elle est considérée par les autorités comme entreprise agricole. Rattachée au ministère de l’Agriculture, elle est affiliée à la MSA depuis 2022 et participe chaque année au salon de l’Agriculture.

« Nous ne sommes pas en compétition avec les éleveurs, nous ne disons pas de ne plus manger de viande, » explique le directeur Damien Robert. « Nous ne sommes pas là pour les remplacer mais pour proposer une alternative. Nous travaillons aussi avec eux en commercialisant de l’alimentation animale ».

Ynsect produit également des engrais à base des excréments des vers, riches en potassium. La demande a explosé au début de la guerre en Ukraine qui a entraîné pénurie d’engrais et augmentation de leur prix. Disponibles actuellement en jardinerie pour les particuliers, un nouveau revendeur devrait prochainement les commercialiser aux agriculteurs.

Le centre Recherche & développement d’Ynsect, basé à Ivry travaille sur des engrais de plus en plus spécialisés (pour les céréales, pour les vergers, pour la vigne, etc.). Les vertus insecticides de l'huile d’insectes y sont aussi testées.

Le Ténébrio Molitor, de l’œuf au scarabée adulte

Une nouvelle usine à Amiens

Construite en 2016 pour être un démonstrateur, l’usine Ynsect de la zone Innovia est actuellement la plus grosse usine au monde d’élevage et de transformation d’insectes, avec 1000 tonnes produites par an. 50 personnes y travaillent en 3 x 8. Elle devrait à terme se consacrer à l’alimentation humaine, l’alimentation animale sera issue d’une seconde usine à Amiens, actuellement en phase de croissance du cheptel. Le début de la production, estimé à 160 000 tonnes annuelles, est prévu au 1er trimestre 2024. « La demande ne cesse d’augmenter, » explique le directeur du site de Damparis. « Les 2 premières années de production sont déjà vendues avant même le démarrage des chaînes ».

Pour la suite, l’entreprise mène des recherches pour adapter l’alimentation des vers de farine sur d’autres continents : « Aux Etats-Unis, nous utiliserions du soja et en Asie du riz ».

Homologation

La réglementation européenne considère explicitement depuis 2018 les insectes comme des aliments, soumis à la nécessité d'une autorisation de mise sur le marché. En attendant que la Commission européenne se prononce sur les vers de farine, chaque pays est libre d'autoriser ou non cette nouvelle alimentation. Certains, comme les Pays-Bas, l'Autriche ou la Belgique ont déjà franchi le pas. En France, une seule marque peut pour le moment commercialiser ses produits car elle était présente sur le territoire national avant 2016.

Dans le laboratoire de contrôle-qualité, les produits finaux et l’état sanitaire des insectes sont surveillés en permanence