L’homme, l’agriculture et les paysages

Rencontres des territoires / Les paysages ne cessent d’évoluer, modelés par les activités humaines, l’agriculture en tête. Une soirée d’échanges participative était organisée en décembre par le CAUE du Jura pour partager réflexions et expériences afin d’esquisser l’avenir du territoire. 

L’homme, l’agriculture et les paysages

Le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) a organisé en décembre les premières rencontres des territoires du Jura pour débattre de l'avenir du cadre de vie et des paysages de notre département. Elus, associations, habitants, citoyens étaient invités à échanger leurs expériences et réflexions.

Le Jura est constitué de 3 grands ensembles paysagers identifiés par rapport à la topographie et à l’altitude du département : la plaine, comprenant aussi le Revermont et la Bresse ; les premiers et seconds plateaux ; et la moyenne montagne.

Ces paysages sont depuis toujours façonnés par l’agriculture, l’habitat et l’industrie. Le remembrement, la déforestation, le développement des lotissements (qui répondent au souhait de maisons individuelles de la population), la construction de barrages hydroélectriques, d’éoliennes, etc., se répercutent sur ce que nous voyons. La forêt jurassienne se transforme aussi sous l'impact du changement climatique.

Une vision subjective

 « On devine que la forêt se rapproche de nous que le paysage évolue, » témoigne le maire de Marigny Louis-Pierre Mareschal. « Sur les cartes postales des années 60, on voit qu’il n’y avait pas de végétation au bord du lac mais des prés avec des vaches qui pâturaient. La végétation est une composante du paysage : elle pousse, elle le fait évoluer, le dissimule. La forêt est bien plus présente qu’il y a 50 ans ».

A Morez, le déboisement des versants de la vallée a permis à la lumière de pénétrer dans la vallée.

Mais la situation n’est pas la même partout, et la vision que l’on a du paysage est subjective. Pour Gisèle Boulay, habitante de Sainte-Croix-en-Bresse et doyenne des intervenants de la soirée, « A cause du remembrement, il y a beaucoup moins de vert, de buissons que quand j'étais petite mais ça revient, on a arrêté de déboiser. »

Le remembrement, et la suppression d’un grand nombre de haies pour augmenter la surface agricole, a fortement modifié le milieu. Aujourd’hui, à l’inverse, on cherche à replanter ces haies pour lutter contre l’érosion des sols et les inondations par ruissellement. « A l’époque, les agriculteurs ont transformé le paysage, il faut leur faire confiance pour le changer à nouveau, » estime Pierre Bouillier, adjoint au maire de Beaufort-Orbagna.

Partager les paysages

Les bâtiments agricoles ont tendance à être de plus en plus imposants, et donc de plus en plus visibles dans le paysage. Dominique Bideaux, éleveur en lait AOP à Dammartin-Marpain, a contacté le CAUE en 2012 lors de la construction d’une étable de 1500 m2. « On essaie d’apporter notre bon sens paysan, de faire des efforts et de partager le paysage. On ne doit pas vivre dans une campagne comme en ville, » estime-t-il.  « Finalement, le choix s’est porté sur un bâtiment en bois qui s’intègre mieux car plus esthétique. Le côté sanitaire pour le troupeau est aussi pris en compte car le bois évite la condensation et procure une sensation de chaleur. »

Laurent Petit, maire de Morez, s’est aussi penché sur l’histoire du paysage de sa commune et a pris des décisions visant à le redessiner : « Au départ, l’endroit était appelé ‘La combe noire’, ce n’était que de la forêt, puis les moines ont défriché. Les agriculteurs, les forestiers, les horlogers ont ensuite, par leur activité, entretenu ce paysage. Lorsqu'on regarde une photo de 1900, on est marqué par les combes ouvertes mais à partir de 1945 l'industrie a pris le pas sur l'agriculture. La forêt a regagné du terrain et refermé les combes ». Pour apporter à nouveau la lumière, l’élu a fait déboiser les deux versants malgré le scepticisme des habitants. Puis 80 chèvres ont été installées pour entretenir le territoire regagné. « Maintenant, la lumière du soleil est revenue dans la vallée, les deux versants se voient et la présence des caprins a permis de créer du lien social. »

Une énergie longtemps virtuelle

« L'espace sauvage est un mythe, on aimerait l'imaginer tel quel, mais il est façonné par l'homme. Le paysage est toujours un miroir qui nous renvoie aux activités humaines. C'est aussi un enjeu pour la ruralité de demain. Il a tendance à s’artificialiser mais reste, dans le Jura, relativement bien préservé. S’il était le reflet exact de nos modes de vie, il y aurait plus d’éoliennes, voire une tour de réfrigération de centrale nucléaire et des mines de métaux rares, » relative Benjamin Guislain, directeur du Parc Naturel Régional du Haut-Jura.

Jusqu’à il y a peu, l’énergie était virtuelle, invisible. Elle arrivait dans les foyers et les entreprises par les lignes à haute tension, « relativement » discrètes. Depuis, les plus hautes éoliennes de France, installées à Chamole, dominent le premier plateau. Avec leur hauteur en bout de pale de 193 mètres, elles sont visibles de loin. Des paysages qui vont encore évoluer car plusieurs projets d’installation d’éoliennes sont à l’étude dans le Jura.

S.C.

Gérôme Fassenet, président du CAUE, est lui-même exploitant agricole. Sur sa ferme, il a replanté 800 mètres de haies.