Table ronde
Enjeux et limites du pastoralisme

Lors de leur AG, les JA du Jura se sont penchés sur les avantages et les apports du pastoralisme mais aussi sur les risques qui pèsent sur cette pratique essentielle pour l’économie, la biodiversité et l’ouverture des paysages. Le réchauffement climatique et la prédation pourraient à terme transformer l’élevage de montagne. 

Enjeux et limites du pastoralisme
Les pré-bois sont typiques des paysages du massif jurassien.

Lors de la table ronde organisée par les Jeunes Agriculteurs du Jura au terme de leur assemblée générale à Longchaumois le 17 février, les différents intervenants ont été unanimes sur les apports des pâturages boisés, ou pré-bois, qui couvrent 70% de la surface agricole utile (SAU) du massif jurassien, et jusqu’à 80% en zone de montagne.

Emblématiques des paysages jurassiens et favorisant la biodiversité, ils sont la vitrine du monde agricole et se retrouvent au centre de l’attractivité du territoire. Les éleveurs ne s’imaginent pas fonctionner sans. Cette pratique ancestrale permet de garder les milieux ouverts et entretenus. Des communes très encaissées, comme Morez ou Saint-Claude, y sont aussi sensibles. Le pastoralisme est donc à la base d’une économie transversale mêlant élevage, tourisme, fromage, entretien des pistes de ski, qualité de vie, etc…

Des milieux très riches

Deux types distincts de pâturages cohabitent sur le massif. En moyenne montagne se pratique un pastoralisme de proximité, autour des bâtiments d’élevage et sur les terrains communaux. Plus haut, 912 estives sont recensées, avec des prairies humides ou d’altitude et des pelouses sèches. « Ces milieux peuvent sembler peu productifs, ils sont pourtant diversifiés et appétents pour les génisses, » explique Sylvie Bombrun, conseillère pastoralisme à la chambre d’Agriculture du Jura. « La flore y est impressionnante, le milieu très riche. Ces espaces permettent aussi d'augmenter la surface de pâturage pour répondre au cahier des charges du comté ».

« Dans les alpages, ce sont l’élevage et le pastoralisme qui permettent de maintenir la biodiversité, ils sont nécessaires » précise Victor Faivre-Pierret, chargé de mission à Jura Nature Environnement (JNE) et lui-même éleveur à Villers-le-Lac. Les pré-bois sont aussi essentiels au bien-être animal, les arbres fournissant de l’ombre aux animaux lors des fortes chaleurs.

Autre avantage cité par Jérémy Jallat, éleveur en Isère et élu JA national chargé du dossier lait : la séquestration du carbone. « Les prairies naturelles sont un atout pour le bilan carbone car elles stockent plus de biomasse dans le sol qu’à la surface ».

Prix du foncier, prédation et changement climatique

Malheureusement ce modèle est vulnérable. Le non-renouvellement des actifs, qui entraine une diminution du nombre d’éleveurs, le met en péril. Certaines parcelles ne sont plus entretenues et s’enfrichent. Une situation aggravée dans le Haut-Jura par le prix du foncier et la proximité de la Suisse : « Certains propriétaires hésitent, voire refusent de louer leurs terres à des agriculteurs, de peur d’avoir du mal à les récupérer », précise Sylvie Bombrun.

Mais les principaux dangers pour le modèle pastoral sont les évolutions des conditions naturelles, changement climatique et prédation en tête. Plusieurs pistes ont été évoquées pour lutter contre le réchauffement et s’y adapter : renforcer la résilience et l’autonomie des territoires en développant la diversité et restaurer les anciennes citernes pour recueillir l’eau de pluie.

Mathilde Martin, chargée de mission territoire environnement à la chambre d’agriculture BFC, animatrice de la table ronde, Jérémy Jallat, éleveur en Isère, élu JA national chargé du dossier lait, Victor Faivre-Pierret, chargé de mission pastoralisme à Jura Nature Environnement (JNE), éleveur à Villers-le-Lac et JA du canton de Morteau et Sylvie Bombrun, conseillère pastoralisme à la chambre d’Agriculture du Jura.

Prédation : retour d’expérience iséroise

Si la prédation de bovins par le loup est apparue l’an passé dans le Jura, les éleveurs isérois la connaissent depuis 2018. Les jeunes agriculteurs ont donc demandé à deux intervenantes de ce département, spécialistes du sujet, de témoigner en visioconférence : Chloé Baranowski, de la fédération des alpages de l’Isère et Sarah Dupire, conseillère bovin viande à la chambre d’agriculture 38. Ensemble, elles ont mené un diagnostic de vulnérabilité des troupeaux face à la prédation.

Pâturages isérois et jurassiens ont plusieurs points en commun. L’élevage en dépend et le parcellaire fortement morcelé complique la surveillance des troupeaux. Dans le département alpin, les bâtiments sont traditionnellement adaptés pour des vêlages en extérieur.

Vingt-deux meutes sont dénombrées en Isère, dont huit interdépartementales. Sur la seule communauté de commune de la Matheysine ou l’étude a été menée, 7 bovins ont été dévorés par le loup en 2018, 22 l’année suivante, 18 en 2020 et 27 en 2021. En unité de gros bétail (UGB), les bovins représentent de 15 à 25 % des victimes iséroises du loup. Les attaques ont lieu tout au long de l’année, avec une recrudescence à l’automne. Jusqu’à l’an passé, elles se déroulaient autour des exploitations mais le prédateur frappe désormais aussi dans les alpages.

« Nous distinguons trois types de prédation », explique Chloé Baranowski. La première, sur les veaux, est facile à avérer. En revanche, lors de la découverte de cadavres en décomposition, il reste toujours une incertitude. Il y a ensuite celles que les éleveurs ne signalent pas : les disparitions d’animaux, les affolements au point de devoir euthanasier les bêtes… Les bovins affolés peuvent divaguer et être source d'accidents ». Elle cite en exemple un élevage qui a dû réformer quinze génisses à la suite d’une telle panique. La prédation du loup, et donc les indemnisations qui en découlent, sont donc sous-évaluées, « même si la DDT indemnise au bénéfice du doute ».

Lourdes conséquences

Les impacts sont nombreux et poussent les élevages à se transformer. La surface de pâturage diminue, les animaux passant plus de temps dans les bâtiments. La surveillance est accrue ce qui occasionne une surcharge de travail, fatigue moralement l’éleveur et rend difficile le respect du délai de 72 h pour signaler la prédation. Finalement, la viabilité économique de l'exploitation peut être en jeu.

Pour faire face, les éleveurs envisagent plusieurs adaptations comme le regroupement du parcellaire et la mutualisation de la surveillance à travers des collectifs d’employeurs. Des chiens de protections sont placés dans les bâtiments et les parcs de vêlages sont renforcés pour maintenir la mise-bas à l'extérieur. Des actions de sensibilisation auprès sont menées auprès des acteurs du territoire et des voisins. Si jusqu'ici les races limousines et charollaises prédominaient dans les alpages isérois, certains s’orientent vers de nouvelles races, soit plus agressives pour que les vaches se défendent, soit à l'inverse plus dociles, pour pouvoir les récupérer après un affolement. Les idées sont nombreuses mais aucune n'a jusque-là fait ses preuves.

Pour les éleveurs isérois, comme pour les jurassiens, la meilleure solution serait la modification des statuts du loup, dossier traité au niveau européen.

S.C.