Loup
Nos troupeaux ne sont pas protégeables

Le préfet coordinateur du plan loup, Jean-Paul Célet, était de passage dans le massif du Jura en début de semaine. Alors que le représentant de l’Etat veut prendre son temps pour faire cohabiter le loup et l’élevage en appelant la profession à prendre sa part dans la compréhension du fonctionnement des meutes locales, FDSEA/JA et les éleveurs de la Baroche ont fait part de leur impatience en insistant sur la non protégeabilité des troupeaux.

Nos troupeaux ne sont pas protégeables

C’est sur les communaux d’Arsure-Arsurette, à quelques mètres du parc où un loup a tué une génisse du Gaec de la roche, que la FDSEA avait donné rendez-vous au préfet Célet accompagné du préfet du Jura Serge Castel ainsi que de l’ensemble des services de l’Etat impliqués sur le loup (DDT, OFB, sous-préfecture). Sans détours, le président de la FDSEA du Jura les a interpelés sur la non protégeabilité des troupeaux dans le massif jurassien avec la présence de vastes zones de pré-bois ou arborées, par ailleurs riches en biodiversité grâce à la pression de pâturage. « Rien que sur cette commune, 25 patous seraient nécessaires pour protéger les troupeaux répartis en plusieurs lots sur chacune des exploitations. Les chiens ne sont pas une solution pour protéger nos animaux dans le massif du Jura », balaye d’un revers de main Christophe Buchet. « Les barrières avec cinq fils ne sont pas non plus compatibles avec nos pratiques et notre territoire sans compter l’entretien induit après l’hiver. Seule la régulation du loup sur les secteurs attaqués peut le dissuader de s’approcher de nos animaux. Nous souhaitons désormais que le cadre règlementaire puisse permettre des tirs de défense à une échelle plus large que simplement le troupeau concerné par une première attaque. L’ensemble des parcelles joignantes à l’échelle communale devraient pouvoir être protégées » poursuit le représentant syndical.

L’élevage doit être prioritaire

Des propos abondés par le président de la chambre d’agriculture. « La population des loups est en train de s’emballer partout en France. C’est le début du phénomène et le problème est devant nous. L’élevage doit absolument avoir une priorité par rapport au loup ! ». Pour Loïc Scalabrino, venu en voisin du Doubs et investit sur le dossier grands prédateurs aux jeunes agriculteurs, le message est sans appel. « Le développement des meutes est exponentielle et le nombre d’attaques est corrélé au nombre de loups présents comme le soulignait quelques minutes plus tôt Pierre-Henry Pagnier, on va droit dans le mur ». Du côté des éleveurs et élus locaux présents, l’impatience est plus que palpable. Pour David Pellier-Cuit dont le garçon s’est retrouvé à quelques mètres du loup le matin de l’attaque sur l’exploitation voisine, la régulation est indispensable et alerte sur la crainte qui l’habite. « Faut-il attendre un drame sur un homme ou un enfant avant de faire quelquechose ? ». 

Un sentiment d’insécurité qui interpelle également les maires d’Arsure-Arsurette et Bief des Maisons. Quel serait le comportement d’un loup qui se sentirait en danger face à des gamins ou des promeneurs qui empruntent nos nombreux sentiers de randonnées ? interroge Catherine Rousset. Un risque nul d’après le préfet du Jura qui estime qu’il n’y a pas d’antécédents dans l’histoire. Pour revenir aux problématiques liées à l’élevage, Léonie Auduberteau, jeune agricultrice du Gaec sinistré, témoigne de son agacement face à ce nouveau fléau. « Nos génisses seront toujours plus faciles à attraper qu’un cerf ou une biche. C’est toujours aux agriculteurs de s’adapter à tout ! » Des propos accentués par Rémy Delacroix, le président cantonal FDSEA. « Les agriculteurs commencent à en avoir plus que marre. Ce que l’on veut c’est être tranquille et exercer notre métier déjà très prenant sans avoir à gérer un souci supplémentaire comme le loup. Si demain il faut encore rentrer les génisses tous les soirs ou monter la garde la nuit, çà sera non ! ».

« En même temps »

Le préfet Célet, après avoir écouté attentivement les propos des uns et des autres, affirme avoir bien compris les difficultés à mettre en œuvre des patous dans chaque lot de bêtes et les particularités des pré-bois présentées un peu plus tôt dans la journée au Crouzet dans le Doubs. Il reconnait également que la proposition de pouvoir effectuer des tirs de défense dans les parcelles voisines à une attaque est pertinente mais que la règlementation actuelle ne le permet pas encore. Mais rapidement dans ses propos, les agriculteurs présents auront compris que faire bouger les lignes seraient un travail de longue haleine. Pour le préfet Célet, le système actuel est le système qui permet le plus de tirs par rapport à l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne ou la Suisse, où pourtant les populations de loups sont plus importantes. Avec 920 loups inventoriés en France, le plan loup permet d’en prélever 174 sur l’ensemble du territoire national. Un seuil qui ne devraient pas être atteint d’ici la fin de l’année, le préfet justifiant que l’Etat français doit rendre des comptes sur les tirs en fonction des attaques réelles. Une analyse partagée par le préfet du Jura nouvellement arrivé dont le souci est de trouver l’équilibre d’une cohabitation. Le préfet Célet va même plus loin dans son expertise puisqu’il est persuadé qu’en tirant le loup on ne va pas régler le problème définitivement en prenant pour exemples la multiplication de nouvelles meutes suite à des tirs de prélèvements dans d’autres régions très touchées. Des propos pour le moins difficiles à entendre pour la profession qui a le sentiment de subir une politique du « en même temps peu tenable » où le bien-être animal et le bien-être des éleveurs est relégué au second plan. Cherchant à tempérer les choses, Jean-Paul Célet a invité les acteurs du territoire à étudier ensemble le fonctionnement des meutes présentes sur le massif car il estime que c’est la première mesure de protection des troupeaux. Si cette proposition peut sembler pertinente sur une logique de long terme, combien de veaux, de génisses ou moutons seront dévorées d’ici là se demandent les agriculteurs présents à cette visite préfectorale ? Quelle sera l’attitude du loup cet hiver lorsque les bêtes seront rentrés dans les bâtiments de chaque côté de la frontière ? En attendant des réponses de l’Etat sur les propositions formulées par le syndicalisme FDSEA/JA, beaucoup des participants seront restés sur leur faim…de loup !

PE BRUNET

Les demandes FDSEA/JA du Doubs et du Jura

A court terme

- La possibilité d’étendre les tirs de défense simple aux exploitations joignantes, et à minima, aux parcelles contigües de celles qui ont subi les attaques.

-  Le maintien d’une procédure réactive dans le Jura et le Doubs en cas d’attaque et en particulier des délais très courts entre l’appel de l’éleveur, le constat de l’OFB et la signature de l’Arrêté préfectoral.

-  La prise en charge du ramassage des animaux prédatés par l’Etat.

-  La mise en place d’un recensement strict et transparent des meutes, et le partage de l’information à l’échelle du massif y compris de l’autre côté de la frontière.

-  Un nouveau recrutement de louvetiers pour renforcer les équipes en place.

-  L’organisation de nouvelles sessions de formation aux tirs de défense pour les titulaires du permis de chasse en faisant la demande.

A moyen terme

-  La reconnaissance de zones géographiques non protégeables au regard des enjeux économiques, écologiques et sociaux du territoire concerné : en cas d’attaque, le tir de défense simple doit être rendu possible sur l’ensemble de la zone. Nous proposons que la zone définie soit celle des communes ayant subi l’attaque et les communes adjacentes.

-  En dehors de ces zones non protégeables, la possibilité d’effectuer des tirs de défense simple sur les parcelles de l’exploitation ayant subi une attaque et sur les parcelles des exploitations joignantes.

-  La possibilité de graduer beaucoup plus rapidement les niveaux d’interventions tir défense simples et renforcés, pour atteindre si nécessaire les tirs de prélèvement.

-  Une simplification de l’intervention des louvetiers en cas de tir de défense. La proximité du loup à côté du troupeau doit suffire pour déclencher un tir létal.

-  La suppression de l’obligation d’éclairer le loup avant un tir de défense effectué la nuit avec dispositif de visée thermique.

-  La possibilité de prélever l’ensemble des animaux qui réalisent des dommages dans les troupeaux dans la mesure où le quota national n’est pas atteint.

-  Un suivi des attaques par périodes de trois années glissantes et des arrêtés préfectoraux correspondants, qui soit réalisé à l’échelle du Massif jurassien et plus uniquement à l’échelle des départements.

-  Une collaboration transfrontalière renforcée et un partage des données (attaques, prélèvements, identification génétique des animaux, comptages…).

Un mince chemin de crête

Bras croisés ou la main souvent levée, ils sont nombreux les agriculteurs présents ce matin du 3 octobre à Labergement-Sainte-Marie pour venir écouter et s’exprimer face au préfet référent du plan loup Jean-Paul Célet. Avec une question centrale, puisqu’on nous impose ce dernier, comment vivre avec le loup ?

C' est « un mince chemin de crête que nous empruntons » commence sans ambages Jean-François Colombet, le préfet du Doubs, qui ouvre lundi 3 octobre cette réunion très spéciale dédiée à la question du loup et des activités d’élevage dans le massif jurassien. Pour Serge Castel, préfet du Jura, le dialogue doit primer tout en « écrêtant les extrêmes afin d’arriver à des solutions apaisées ». Un dialogue également transfrontalier puisque sont aussi présents aux côtés des préfets, Sébastien Beuchat, directeur général de l’environnement, et Frédéric Brand, directeur général de l’agriculture, pour le canton de Vaud. Ce dernier résumant une partie de la position suisse : « nous apprenons beaucoup de ce qui se passe en France avec des mesures de protection à sans cesse relever face à un loup qui s’adapte et qui chez nous aussi menace des systèmes d’exploitation agricole centenaires ».

« On ne nous écoute plus »

Cette volonté de dialoguer, l’agriculture l’entend, Florent Dornier, le président de la FDSEA du Doubs rappelle que « on a toujours eu cette philosophie de se mettre autour de la table et de coopérer, mais aujourd’hui on a l’impression qu’on ne nous écoute plus ». Au fond de la salle, les bras croisés, les représentants des Jeunes Agriculteurs attendent de pied ferme des réponses car c’est l’avenir des exploitations que remet en question la multiplication des attaques. En effet en 2022 le bilan du loup pour le massif du Jura est lourd pour les éleveurs concernés avec déjà 69 victimes sur le massif. 
Ce bilan Jean-Paul Célet, préfet référent pour la plan national loup, le compare aux 900 victimes recensées dans les Alpes de Haute-Provence au même moment : « mais si je suis là aujourd’hui, c’est parce qu’il est important d’être là au commencement des prédations. On vous doit d’être là, mais on se doit aussi de se préparer, de vous préparer à faire face ».

« Se préparer » avec le nouveau plan national d’actions

Les éleveurs présents et la Chambre d’agriculture, à travers une présentation chiffrée, puis une visite de terrain montrent à Jean-Paul Célet que les mesures disponibles actuellement sont insuffisantes pour l’élevage bovin et pour l’élevage du massif. Mais alors que demandent les agriculteurs ? C’est Pierre-Henry Pagnier qui le résumera « quand on ne peut plus se projeter sur son exploitation, c’est là qu’on a un risque d’abandon du territoire et de nos activités. Je suis plein de doutes et je souhaite qu’ils soient levés », des annonces et des mesures claires donc.

La proposition de remettre en question le statut du loup, comme le demande ce matin Annie Genevard, le préfet référent la balaie de la main : la commission européenne a rejeté cette idée le vendredi précédant la rencontre. La révision du plan national loup va, selon Jean-Paul Célet, permettre de mieux prendre en compte les particularités des bovins : « les bovins sont déclarés non-protégeables, pourtant on ne vous accorde des tirs qu’après une attaque, on va se pencher sur cette question », ouvrant peut-être la porte à des possibilités de tirs territorialisés demandés par la profession agricole. Il propose également de se pencher sur la question du comportement des meutes afin de mieux cerner les habitudes d’attaque et les individus responsables de celles-ci. Pour Jean-François Colombet, les innovations doivent être trouvées dès maintenant et de façon collective puisque « nous partageons les pâturages et les meutes », c’est pour cela que lui et la présidente de la Région ont annoncé une mission d’expérimentation, pilotée par l’agence régionale de la biodiversité, très rapidement afin de travailler sur les mesures de protection des troupeaux.

Morgane Branger