La forêt et l'humain

ONF/ Etienne Delannoy a passé 12 ans à la tête de l’ONF du Jura durant lesquelles il a particulièrement apprécié les rapports humains. Il revient sur son travail avec ses différents partenaires et évoque l’avenir de la forêt jurassienne.

La forêt et l'humain

Monsieur Delannoy, vous avez fait valoir vos droits à la retraite après 12 années à la Direction départementale de l’ONF. Quels souvenirs gardez-vous de cette fonction ?

Ce qui m'a plu dans ce métier, c'est la gestion d'une équipe et les relations humaines avec les différents partenaires. Il y a 130 personnes à l’ONF, il fallait être attentif aux différents techniciens et aux différentes problématiques.

Les relations avec les fédérations de chasse et les élus m’ont aussi beaucoup intéressé. C’est important car pour faire face aux crises que traverse la forêt nous devons définir des stratégies communes. J’ai aussi apprécié les projets d'utilisation du bois local comme la maison de la ComCom à Chamblay où la plateforme de plaquettes forestières de La Mouille. 

Depuis que j’ai commencé, j’ai vu beaucoup de changements, notamment sur la vente du bois. A l’époque, il se vendait sur pied, aux enchères descendantes à la criée. Les acheteurs repartaient avec des chênes, des êtres, des frênes qu’ils devaient couper et sortir des bois. Maintenant tout se passe sur internet. L’ONF a aussi développé des contrats d’approvisionnement avec des scieurs pour leur garantir une quantité et une qualité déterminées. Nous coupons les arbres, les trions, les sortons jusqu’en bord de route. Les acheteurs n’ont plus qu’à venir les charger.

Une question à l’expert : la forêt jurassienne évolue très vite actuellement et personne ne peut plus ignorer les effets du changement climatique : quelles solutions s’offrent aujourd’hui aux forestiers ? 

Il ne faut plus se contenter d’avoir uniquement du sapin et de l’épicéa dans le Haut-Jura car ils souffrent de la chaleur et des scolytes. Les solutions sont compliquées à trouver car la forêt est sur des cycles de production longs, on ne peut pas changer de variété du jour au lendemain. La forêt de demain devra être plus diversifiée, plus mosaïque, avec le maximum d’essences, peut-être d’origine méditerranéenne, même si elles sont moins productives. En plaine, on peut reboiser avec des essences traditionnelles comme le chêne mais avec des origines méridionales. Les cycles de rotation devront être plus rapides car il y a moins de risque à faire une forêt en 50 ans qu’en 80 ans.

Le Jura a la chance d’avoir une sécherie à La Joux qui récolte et travaille les graines, il est donc possible de faire des contrats de culture avec des pépiniéristes régionaux pour obtenir les plants nécessaires au reboisement. L’industrie devra aussi s’adapter. Certaines scieries sont dédiées à l’épicéa et sont pour l’instant incapables de travailler du chêne ou du hêtre.

A mon avis, il faudra se concentrer sur les zones les plus riches au niveau du sol, qui conservent le mieux l’eau et ne rien faire sur les dalles calcaires. Il y aura toujours quelques choses qui poussera. La physionomie des forêts va changer. Elle résulte du sol et de la climato. Si on a un climat méditerranéen, on aura une forêt méditerranéenne. J’ai quand même une certaine crainte car, comme on est sur des cycles longs, l'adaptation est compliquée.

Quels messages auriez-vous à faire passer aux élus des communes qui travaillent avec les techniciens de l’ONF mais doivent prendre des décisions qui engagent leur collectivité pour l’avenir ?

Il faut continuer à croire en la filière bois et pour cela adapter la forêt, la rendre plus résiliente en travaillant avec les organismes concernés : le CRPF, le syndicat de propriétaires forestiers, l'ONF, la Fédération de chasse…

Les forêts sont des sources de revenus non-négligeable sur lesquelles comptent les élus. Mais depuis trois ans, leur rentabilité s’effondre. Le prix du bois d’épicéa sec a été divisé par six avec la crise des scolytes. Il faut essayer de les vendre en premier pour sauver ce qui est sauvable, car au bout d’un an, ils sont complétement délités et ne valent plus rien. Certaines communes préfèreraient couper et commercialiser les bois encore verts, quitte à abandonner le sec.

Les élus doivent profiter du plan de relance qui consacrera 150 millions d’euros au reboisement. Cette manne financière, à mettre en œuvre avant 2023 est la bienvenue car il faut continuer à investir dans la forêt malgré les incertitudes. La filière bois génère 400 000 emplois en France à travers des industries locales, en milieu rural et non délocalisables.

Ils ne doivent pas voir la forêt que pour sa rentabilité mais dans sa globalité. Beaucoup de maires sont désormais conscients de l’importance de préserver sa biodiversité abondante car elle est source d’aménités : stockage du carbone, protection de l’eau, filtration de l’air… Le troisième point à prendre en compte est l’accueil du public.

Dans ce cadre, l’ONF travaille aussi beaucoup avec les communautés de communes souvent en charge de Natura 2000. Nous réfléchissons ensemble aux aménagements à apporter : ouverture de sentiers, création d’îlots de vieillissement, protection de mares…

La forêt de Chaux, aux portes de Dole, en est le parfait exemple. Elle regroupe toutes les problématiques que j’ai citées : l’eau, le gibier, la production de bois, l’accueil du public… C’est un massif un peu en souffrance. Nous avons reméandré la Clauge qui avait été drainée dans les années 70. J’espère qu’avec les ComCom, les conseils départemental et régional, l’ONF pourra mettre en œuvre un programme de travaux, créer des pistes cyclables, des chemins de randonnée, animer les barraques du 14. 

SC