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Assemblée générale du CIGC

10 questions à Alain Mathieu, président du CIGC

Pour Alain Mathieu, président du CIGC, l’heure est à la défense du modèle laitier AOP, à la revendication d’un cahier des charges exigeant et à la lucidité face aux défis du lait cru.

10 questions à Alain Mathieu, président du CIGC
Lors de l’assemblée générale du CIGC, Alain Mathieu a salué l’adoption du nouveau cahier des charges AOP et insisté sur la rigueur collective nécessaire à la pérennité du modèle Comté (Photo Loris Faé – CIGC).

Quel regard portez-vous sur la conjoncture 2024 ?

Nous pouvons nous réjouir d’une situation économique qui revient à l’équilibre. Cela nourrit un optimisme raisonnable pour l’avenir, car il y a un an, il n’en était rien. En juin 2024, nous évoquions la conjoncture pour le moins complexe que tous les produits sous signe de qualité traversaient et les grandes difficultés qui frappaient ceux issus de l’agriculture biologique. Le Comté n’était pas épargné avec un tassement des ventes. L’augmentation des stocks laissait craindre que nous pourrions dépasser les 60000 t dans le courant de l’été 2024 avec comme conséquences le manque de place et un déséquilibre offre/demande préoccupant.

Quels ont été les facteurs clés qui ont contribué à cette évolution ?

La situation 2024 nécessitait des prises de décisions fortes et rapides, dans l’intérêt de la préservation de la qualité pour les consommateurs et donc évidement de la valeur pour nous tous.

Une fois de plus, nous avons su collectivement, au risque de déplaire, prendre des décisions pour ne pas décevoir. A ce titre, nous nous sommes dotés de règles de régulation draconiennes avec une réduction de –8,58 % des références totales Comté. Nous avons également augmenté les moyens de communication, qu’ils soient individuels ou collectifs. En parallèle s’installaient progressivement un ralentissement de croissance de la MPN concrétisant ainsi les efforts de la CEC et de la FRCL.

Y-a-t-il d’autres motifs de satisfaction au regard de l’année 2024 ?

L’autre élément marquant de 2024 aura été l’adoption de notre cahier des charges lors du comité national agroalimentaire de l’INAO du 21 novembre à l’unanimité des responsables professionnels. Là aussi nous n’avons pas ménagé nos efforts, dans le sillage de la commission d’enquête et des services qu’il faut remercier pour leur implication et leur ténacité. Ils ont su expliquer le bien-fondé de nos propositions et leurs caractères proportionnés, selon la formule consacrée ! Cette décision vient clore une phase d’instruction entamée en 2020… 

Certes, nous avons encore un peu de travail jusqu’à son homologation synonyme de son application pleine et entière, mais quelle avancée et quelle bonne nouvelle !

Les attaques médiatiques sans précédent dont le Comté a fait l’objet vous ont-elles atteints ?

Ces attaques d’une violence extrême sont profondément blessantes, parfaitement injustifiées et surtout c’est sans fin.

L’histoire se répète :  il n’est pas si loin le temps où l’ensemble des syndicats agricoles des quatre départements de la zone d’appellation Comté signaient une tribune commune dénonçant l’acharnement médiatique contre les producteurs de Comté. C’était en 2021...La vague de 2025 est bien plus haute que les précédentes : toutes les chaînes de télévision, toutes les radios, toute la presse écrite ont martelé : « le Comté pollue ». 

Nous étions perçus il y a quelques années comme des antiquaires. Nous sommes devenus, pour certains, les derniers de la classe en matière d’engagements environnementaux, égoïstes, avides de profit et bientôt sans doute des tortionnaires de nos montbéliardes et de nos Simmental !!!

Quand je vois que sur le haut Jura, un territoire composé de 70 exploitations laitières avec une productivité moyenne d’environ 2000 l de lait/ ha (35% en dessous de la moyenne de la filière) et là aussi le Comté est à la veille d’être la cause de tous les maux de la rivière la Bienne. L’agriculture serait à ce point un problème partout ? Ça suffit !

Comment le CIGC va-t-il réagir ?

N’en déplaise aux donneurs de leçons, aux autoproclamés légitimes à dire le bien et le mal, nous allons continuer à revendiquer le fait que notre cahier des charges est l’un des plus exigent d’Europe en matière environnementale, à affirmer que nous sommes fiers de notre modèle d’agriculture familiale extensif qui donne envie aux jeunes de nous rejoindre, à revendiquer la progression de la production du Comté de ces dernières décennies permise par l’exigence que nous nous sommes imposés dans la promesse faite aux consommateurs et par l’accueil de nouveau producteurs. Et non seulement nous n’allons pas nous en excuser mais en défendre avec fierté les bénéfices pour nous et l’ensemble de notre territoire.

Nous allons continuer, comme toujours, à travailler à l’amélioration de nos pratiques pour faire toujours mieux en prenant appui sur l’apport de nouvelles connaissances, en apportant notre contribution à la préservation de nos ressources, de façon réaliste en distinguant ce qui relève de notre responsabilité de ce qui relève du changement climatique sur lequel nous n’avons pas encore la main n’en déplaise à nos détracteurs, en étant sans concessions sur les négligences individuelles. C’est la vision que nous défendons d’un modèle durable.

Comment expliquez-vous un tel emballement médiatique ?

Un tel emballement médiatique national ne prend pas naissance sans un bruit de fond local, distillant en permanence l’idée que le Comté « c’était mieux avant », que « le Comté n’en fait jamais assez pour l’environnement » et surtout que du Comté on en fait trop ! Une chose est sûre, de ces messages à répétition, aujourd’hui nous en sommes les héritiers. Non, le Comté n’est pas un jouet mais si c’est un jeu, la règle est claire : il se joue avec les quatre familles autour de la table !

L’avenir du lait cru est-il une source de préoccupation ?

La pression monte autour du lait cru dans notre massif, mais aussi dans les autres régions.

Les risques sanitaires, économiques, psychologiques, d’image pèsent très lourd sur les acteurs du lait cru à tel point que le mot « thermisation » s’invite de plus en plus dans les débats.

Ce sujet est fondamental pour nos 4 appellations. Il va bien au-delà d’un débat sur la technologie de transformation. Oui, il a un sujet économique, mais il s’agit aussi d’une question d’identité, de culture, de savoir-faire, du questionnement même de l’organisation de notre modèle.

Quelles sont les pistes de réflexion ?

Le débat s’est formellement ouvert entre nous tous : il s’impose pour répondre à la problématique du maintien des fabrications au lait cru et va bien au-delà. Les autres secteurs de l’agroalimentaire partagent avec nous les mêmes contraintes et les mêmes craintes sur cette recherche d’absence totale de tout, un leurre dans l’univers du vivant ou tout est partout ! 

Avec lucidité et pragmatisme, nous devons établir un diagnostic partagé abordant ce sujet dans toute sa complexité, en bâtissant des scénarios, en les objectivant. Nous devons obtenir des réponses fortes à la fois politiques et techniques par le prisme de la gestion des risques et des bénéfices.

Il y a des moments dans la vie de filière qui sont déterminants, des manières de prendre des virages ou de ne pas les prendre qui marque l’histoire.

L’INAO a-t-il un rôle à jouer ?

Gardien du temple des signes officiels de qualité, l’INAO joue un rôle déterminant.
Nous avons là aussi un chantier de taille pour préserver notre institution, menacée par des déséquilibres budgétaires, afin que les débats politiques puissent perdurer dans cette organisation qui a contribué à la réussite et à la crédibilité de nos AOP depuis bientôt 90 ans.

En deux mots, comment qualifier 2025 ?

Une année dense avec des sujets stratégiques majeurs qui sont à traiter collectivement, avec détermination et porté par les valeurs qui caractérisent les gens du Comté. Nous sommes donc sûr d’une chose : pour l’année qui vient, nous n’aurons pas le temps de nous ennuyer !