Habitudes alimentaires
La consommation de viande va redevenir exceptionnelle

Exposées depuis leur plus jeune âge aux injonctions diététiques et environnementales, sensibilisées au caractère sensible des animaux, et confrontées à l'augmentation drastique du coût du logement, les nouvelles générations délaissent les produits carnés.
La consommation de viande va redevenir exceptionnelle

Se focaliser sur le véganisme serait une erreur d'appréciations. « Ce mode de vie militant reste très marginal, c'est l'arbre qui cache la forêt », analyse Pascale Hebel, économiste et directrice du département consommation du Credoc (centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), invitée à la session de la Chambre d'agriculture de Haute-Saône, le 26 juin dernier à Jussey. « Il y a une tendance de fond, qui se met en place très rapidement, et qui touche presque toutes les générations, à consommer moins de protéines animales que par le passé. » L'économiste a brossé un tableau dynamique des évolutions des comportements alimentaires, à l'aune de l'effet générationnel. « Au Credoc, nous avons 30 ans de recul historique sur ces évolutions, grâce à nos enquêtes régulières qui analysent non seulement les perceptions des consommateurs, mais aussi leurs comportements ''réels'', à travers les carnets de consommation qui permettent de quantifier les portions consommées. Chaque génération a été marquée par des événements différents qui impactent profondément leur mode de vie et leur rapport à l'alimentation : le réfrigérateur, pour ceux nés entre 1927 et 1936, puis le robot électrique, pour ceux qui avaient 20 ans en 1962, les hypermarchés... le hard-discount, et enfin après la génération internet et les ''nomades'', nous entrons dans l'ère du ''mieux consommer'', avec des applications sur smartphones qui permettent de déterminer en flashant un produit ou son code barre son impact environnemental ou sur sa santé ! »

 

 

Moins d'argent et moins de temps


Dans le brouhaha des effets de mode et des cas particuliers, Pascale Hebel s'est efforcée de mettre en valeur les faits saillants, qui déterminent les évolutions des rapports des Français avec la nourriture. « L'urbanisation de la population est une tendance de fond, structurelle : près de 80 % de la population française vit aujourd'hui en ville et ce chiffre atteindra 90 % dans une dizaine d'années. » Autre fait majeur, la montée en puissance récente des achats alimentaires en ligne. « Il y a 10-15 ans les premières initiatives n'ont pas pris, mais le phénomène du drive (composition d'un caddy via le site internet d'un supermarché) a ouvert la porte à ce mode de consommation, et aujourd'hui 12 % des Français - c'est énorme - privilégient le commerce électronique pour leurs achats alimentaires, que ce soit sous la forme du drive, ou avec la livraison à domicile. A Paris, Amazon vous propose de vous livrer à n'importe quelle heure votre panier de courses alimentaires ! » Cette évolution récente pourrait d'ailleurs constituer une véritable opportunité pour des producteurs ou groupes de producteurs, qui souhaiteraient court-circuiter une chaîne d'intermédiaires trop gourmande...
Les jeunes générations, happées par un mode de vie urbain, contraintes par l'explosion des loyers et de l'immobilier à consacrer plus de 30 % de leurs revenus au logement, désinvestissent le champ de l'alimentations. « Ne serait-ce que par rapport à la génération de leurs parents, elles consacrent moitié moins de la part de leur budget à l'alimentation : 8 % à peine. » Et dans ce triste paysage, la viande est soumise à un faisceaux d'injonctions dépréciatives. « Depuis cinq ans, le développement durable ou l'écologie étaient au sujet du baccalauréat, il y a 10 jours c'est au Bac français que les élèves ont été interpellés sur la question de la maltraitance des animaux... En parallèle, l'OMS indique la viande parmi les causes de cancer et préconise moins de 150 g de charcuterie par jour. Si vous ajoutez à ça la baisse du pouvoir d'achat, et la répétition des scandales alimentaires (ESB, viande de cheval dans les lasagnes...) tous les indicateurs vont dans le même sens. »

 

Alexandre Coronel