Le 18 octobre, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) et la Burgundy School of Business (école de commerce) ont débattu sur « l’œnotourisme durable » pour savoir comment « passer à l’action ». Le BIVB aimerait que les vins de Bourgogne « tendent vers la neutralité carbone », tel que définit dans son Objectif Climat 2035. Ce qui impliquerait d’importants changements en termes touristiques.
Verra-t-on revenir des petits trains sur les voies ferrées désaffectées ou reconverties en voies vertes ou cyclotourisme ? C’est en tout cas une des pistes pour réduire l’empreinte carbone de l’œnotourisme en Bourgogne.
Le 18 octobre à Dijon (et en webinaire) se tenait, sur le thème de l’œnotourisme durable, le premier des huit ateliers prévus autour de l’Objectif Climat 2035 définit par le BIVB qui espère voir les vins de Bourgogne « tendre vers la neutralité carbone ».
En France, l’œnotourisme représente 10 millions de voyageurs, dont 16 % viennent ou passent en Bourgogne. Responsable du développement durable au BIVB, Lucie Guillotin rappelait le bilan carbone de la filière vins de Bourgogne. Si les emballages – surtout les bouteilles – représentent le 1er poste des émissions de gaz à effet de serre (34 % du total), les déplacements arrivent en second (24 %). L’œnotourisme en Bourgogne est donc responsable d’un cinquième (20 %) des émissions devant le fret (surtout l’export) et loin devant les énergies utilisées au chai, à la vigne… Avec l’Adelphe, le BIVB se donne pour ambition de « réduire de 60 % » les émissions de sa filière pour passer de 380.000 t de CO2 à 150.000 t/an, « seuil incompressible » qui devra ensuite être compensé par l’achat de crédits carbone.
Garder un coup d’avance
Avec sa route des vins lancée en 1937 en Côtes de Beaune et de Nuits, « avant l’Alsace, la Bourgogne pionnière doit garder un coup d’avance sur l’œnotourisme durable », lançait Magalie Dubois, animatrice de la table ronde et chercheuse en marketing à la BSB. Car la compétition a déjà débuté sur ce marché. Pour preuve, une intervenante d’Australie, pionnière en son pays, Hayley Purbrick du domaine éponyme « accrédité zéro carbone », avait accepté de témoigner, mais par Internet, pour ne pas prendre l’avion.
L’occasion pour elle de rappeler que les trois piliers pour la durabilité sont l’économie, le social et l’environnement. Et sur ces trois piliers, elle travaille à « réduire le négatif et augmenter le positif » sur son Domaine faisant partie d’un Parc national et d’un écosystème constitué d’associations écologistes, d’une soixantaine de caveaux… Revégétalisation de ses terres, sentiers pédagogiques, restauration de bâtiments historiques, embauche de main-d’œuvre qualifiée… Hayley Purbrick n’en perdait pas pour autant de vue sa « rentabilité et ses revenus à longs termes ». Pour elle, cela enclenche même un cercle vertueux. « Les clients veulent du durable et viennent nous voir et cela attire aussi de la main-d’œuvre » qui veut venir travailler pour une entreprise durable.
Savoir-faire et le faire savoir plus
Mais l’Australie n’est pas la France, et encore moins le vignoble de Bourgogne. Avec 2 millions de touristes pour moitié des étrangers (43 % de touristes étrangers en France), les domaines australiens exploitent de plus grandes surfaces avec salariés et « ont pensé dès le début à accueillir des touristes. Nous, cela vient se greffer dessus ». De quoi souligner que ces nouveaux vignobles du monde sont également plus tournés vers le « faire savoir » que sur leurs savoir-faire sans Histoire.
Consultant « expert » en œnotourisme, Marc Jonas invitait donc à « passer à l’action » en Bourgogne. « Tout le monde doit y mettre du sien », invitait-il à la sobriété. Deuxième conseil : « anticipez avant de nouvelles contraintes sinon cela vous coûtera après plus cher ». Un dernier argument qui a du sens. Le compte à rebours a même débuté avec l’affichage environnemental qui sera obligatoire en 2026, d’abord sur le textile et l’alimentaire, « puis dans un second temps pour le tourisme ». Des labels, tels "Clés vertes", vont certainement « devenir plus durs » côté critères, prévient-il, en vue de se différencier. Les opérateurs touristiques vendront demain de l’œnotourisme « éthique, authentique », imagine-t-il.
Attention néanmoins, le sondage interactif montrait de grandes différences de perception entre vignerons et professionnels du tourisme à ce stade… Mais pas que, au sein même des viticulteurs sans doute aussi, Marc Jonas affirmant que le « modèle coopératif est très actuel », parlant du "collectif", alors qu’une majorité de jeunes s'installe en caves particulières en Bourgogne.
Greenwashing vs greenhushing ?
Vigneron à Châteauneuf-du-Pape, Bernard Duseigneur a, avec son frère, convertit son domaine en Bio, il y a 30 ans, « par opportunisme commercial, ce qui n’est pas une mauvaise raison », assumait-il. Sa « conscience écolo est venue plus tard », reconnaissait-il aussi, lui qui est maintenant « profondément » convaincu, à l’image de nombre de vignerons. Toujours franc, il critiquait « ce Bio qui liste des interdits », tournant son domaine vers des pratiques biodynamiques qui « n’est plus considéré comme une secte » par la société contemporaine.
Sans savoir s’il tient ce discours à ses clients, Bernard Duseigneur poursuivait sur sa lancée. « Avec 30 ha, je ne peux pas tout vendre en direct. Il ne faut pas se bercer d’illusions, il faudra continuer à vendre à l’export, mondialement », lui qui met en avant plutôt la « santé » de ses terroirs, la biodiversité… se revendiquant « passeur de passion, passeur de terroirs » aux futures générations, en n’oubliant jamais de faire « le meilleur vin possible ».
Finalement, il constate que les touristes sont satisfaits pour l’heure. « La majorité est coupée de la nature, ils veulent déjà un contact avec un vigneron qui travaille la terre, la vigne ; avec la nature, sensible à son respect ». À l’inverse du greenwashing (écoblanchiment ou verdissage), le greenhushing vise à être moins modeste, même sur de « petites actions » (récupération d’eau de pluie, bâtiment à énergie positive…) que les clients « ont envie de s’approprier pour avoir l’impression de faire une bonne action pour la planète ».
L’électrocution de la fée électrique
Dans l’amphithéâtre de la BSB, les étudiants restaient toutefois sur leur faim et réclamaient plus de concret. « Pour ne pas dépasser +2 °C en 2050, il faut diminuer de -5 % les GES par an dans le monde, soit l’équivalent d’un confinement Covid chaque année ». Après l’Australie, Marc Jonas partait en Espagne dans le vignoble de Penedès (DO). 80 % des vignerons sont passés en Bio dans cette région proche de Barcelone (3 millions d’habitants). Alors que la ligne de voie ferrée devait être arrêtée, les habitants travaillant à Barcelone se sont plaints et les vignerons ont apporté des solutions pour installer dans la gare, l’office de tourisme et des vélos électriques. Autre exemple, les champagnes Nicolas Feuillatte vont chercher leurs touristes Américains à la gare.
Car 75 % des GES touristiques sont émis par le transport, dont 45 % par l’aérien. Un Paris-New-York émettant 2 t de CO2, soit l’intégralité des émissions d’une année pour respecter les objectifs de la Cop21… La salle semblait perplexe face à ces exemples de futurs œnotouristes en mobilité douce ou vélos électriques, face au manque de bornes de recharge de voitures électriques en France, ou venant en trains avec toutes les intermodalités pratiques… en ce jour de grève à la SNCF. À la question de vendre du vin à un cycliste, le consultant ne se démontait pas et rajoutait à « l’important travail sur le digital, le plus important étant de vendre la marque et créer une relation émotionnelle pour fidéliser ». Activités gourmandes, culturelles, sportive, pleine nature… font partie du « panel d’expériences » devant demain compléter ce plus lent « voyage dépassant la simple dégustation et visite de cave ».
Du sur-tourisme au sous-tourisme ?
Dernière barrière à un œnotourisme durable, la « saisonnalité » ou plutôt une bonne répartition sur les « quatre saisons », de moins en moins vrais avec le réchauffement climatique. « Mieux vaut 1.000 touristes tous les mois que 12.000 en août ». Le « sur-tourisme » obligeant à fermer déjà des sites naturels, comme les Calanques de Marseille ouverts sur réservation en été, pour les protéger.
Autre mise en garde de Marc Jonas, le « respect » des touristes qui viennent « pour vivre de vraies rencontres avec un vrai partage », avec les vignerons et avec les habitants, critiquant au passage le tourisme de masse, les restaurants « prohibitifs »… mais aussi ces nouvelles formes individualistes à travers des plateformes Airbnb qui "expulse" les habitants et travailleurs locaux.
Le directeur du tourisme à la Région Bourgogne Franche-Comté, Philippe Lancelle concluait cette passionnante table ronde en rappelant l’actuelle politique durable « incitative » et « coercitive pour obliger les acteurs à s’engager ». Ayant aussi la compétence transport, le conseil régional prévenait que « cette problématique sera coûteuse » aux contribuables, surtout si le tourisme doit être moins rentable pour tous.
La dernière question d’un vigneron dans la salle démontrait que le débat est très loin d’être terminé et que le travail de coconstruction doit se poursuivre. L’Objectif climat porte sur le bilan carbone « mais qu’en est-il de l’eau ? ». Sachant qu’un touriste consomme 230 litres par jour (contre 110 l/j par habitant) souvent en été où cette ressource devient rare… y compris pour les vignes.