Accélération énergies renouvelables
Deux Ministres branchés sur l’agrivoltaïsme

Cédric Michelin
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Deux rencontres au sommet. Après le Ministre de l’Agriculture, le 23 juin à Jalogny, la profession agricole de Saône-et-Loire a rencontré la Ministre de la Transition énergétique, le 6 juillet dernier au Creusot. La Bourgogne du Sud actuellement très sollicitée (plus de 40 opérateurs se sont manifestés) sur l’agrivoltaïsme continue de dire non, en attendant les décrets d’applications. La profession a fait valoir ses propositions, à commencer par celle de privilégier toujours l’alimentation et l’installation d’agriculteurs/rices.

Deux Ministres branchés sur l’agrivoltaïsme
De g. à d., Christian Bajard, Bernard Lacour, Aurélie Lucas, David du Clary, Agnès Pannier-Runacher, Steve Bossart et Yves Séguy.

Administrateur FNSEA pour la région BFC, l’éleveur de Saint-Eugène, Luc Jeannin se souvient encore de la réaction des agriculteurs en 2020 lorsqu’ils ont entendu pour la première fois ce mot « agrivoltaïsme » : « on ne veut pas de panneaux sur nos terres, nous, on veut produire des aliments pour la société ». Des mots forts qui plaisaient au Ministre de l’Agriculture à Jalogny.

Alors que les départements du Sud de la France n’ont pas opposé de résistance à son développement, la quarantaine d’opérateurs – économiques et énergéticiens en tout genre – qui « toque » à la porte des fermes, de la chambre d’Agriculture, de la CDPenaf… a donc été éconduite en Saône-et-Loire. Aucun projet ne sort de terre. Seules les expérimentations agrivoltaïques sont possibles comme au Pôle ovins à Charolles.

Néanmoins, depuis, s’en est suivi un important travail de près de deux ans sur le sujet en Saône-et-Loire, mariant analyse juridique, technique, économique et syndical. Et il s’avère que la première réaction de vigilance était la bonne, tant des zones d’ombre persistent sur l’agrivoltaïsme, soulignent régulièrement les JA.

Reste que la profession n’est pas sourde au besoin de souveraineté énergétique du pays, à condition de ne pas l’opposer à la souveraineté alimentaire. Comment donc « accélérer » comme le prévoit la loi AER sur les énergies renouvelables, sans nuire à l’installation des jeunes agriculteurs (accès des jeunes au foncier, protection du fermier…) et au contraire, faire de l’agrivoltaïsme un « levier d’adaptation au changement climatique », plaide aujourd’hui Luc Jeannin en tant que vice-président de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. Le tout en observant l’impact des modules sur les différentes productions agricoles et sur la flore.

Le bail rural, clé de voûte

Point « essentiel » s’il en est, la première demande professionnelle consiste à défendre le bail rural et le statut du fermage. « Aujourd’hui, les opérateurs veulent prêter la surface à l’agriculteur », ce qui enlève toute protection à ce dernier. JA, FDSEA et chambre disent « non, il faut protéger juridiquement l’agriculteur », réclamaient-ils au Ministre de l’Agriculture.

Marc Fesneau répondait en préambule qu’il avait inscrit l’agrivoltaïsme dans la loi pour ne pas se priver de cet « élément positif pour l’agriculture », au même titre que la biomasse (bois, méthanisation…). Il différencie bien agrivoltaïsme de photovoltaïque au sol, avec la définition de l’Ademe, espérant « éviter l’agrivoltaïsme d’opportunité ». Pour lui, demain, les CDPenaf doivent « donner des avis conformes » et ceci, en argumentant « avec les opérateurs ». Visiblement, il ne veut pas reproduire la « dérégulation » des zones destinées aux éoliennes qui provoque aujourd’hui une opposition massive. Finalement, il se disait plutôt partisan de « laisser la CDPenaf gérer sa doctrine » en la matière.

Interrogée sur ce même sujet quinze jours après, la Ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher ne disait pas autre chose. La CDPenaf pouvant « démasquer les faux projets agrivoltaïques ». Sur la question de toucher au bail rural, elle se montrait également prudente sur ce « fin équilibre ». L’idée donc de la profession agricole est plutôt « d’insérer une disposition créant une clause environnementale compatible avec l’agrivoltaïsme », de manière similaire à l’agroforesterie, suggère la juriste de la FDSEA, Aurélie Lucas.

Limiter les puissances installées

Autre demande de la profession, « équilibrer les territoires », « quitte à limiter les puissances installées par exploitation en mégawatts installés », disait sans ambages, le président de la FDSEA, Christian Bajard. Son idée derrière est de « réfléchir à des grappes » de projets. Ce qui aurait alors pour vertu « de multiplier la production et permettre à plus d’entreprises d’en bénéficier », rajoutait Bernard Lacour, président de la chambre d’Agriculture. Autre idée pour aller encore plus loin, avec la création d’un « fonds commun abondé par les opérateurs » pour aider les exploitations éloignées à raccorder leur projet. L’autre avantage serait de « financer des bâtiments de stockage », pour notamment faire face aux sécheresses récurrentes notamment en élevage, rajoutait Christian Bajard. Avec un tel cadre « obligatoire », les opérateurs diminueraient certainement la « pression » qu’ils mettent sur les terres agricoles

Partage de la valeur ?

Les deux Ministres semblaient en revanche plus réservés sur la demande de partager à 50-50, « les retours sur investissement très confortables » des opérateurs, en imposant à ces derniers que la moitié des sommes revienne au fermier. Agnès Pannier-Runacher évoquait plutôt la possibilité « d’autoconsommation collective » pour les collectivités locales, Gaec…

Marc Fesneau semble sur la même ligne avec en plus cette sensibilité « d’élu local qui sommeille en lui ». Il verrait bien les territoires réfléchir à leur propre schéma d’énergies renouvelables qui sont spécifiques à chacun : méthanisation ici, éolien là, photovoltaïque au sol sur friches, agrivoltaïsme… en s’organisant entre départements et régions.

Quid du démantèlement à la fin ?

Il voit un autre intérêt dans le fonds commun, celui du désamiantage des toitures agricoles. Reste encore la question de la fin de vie des panneaux photovoltaïques à « démanteler » pour recycler « les cellules » solaires. À l’heure actuelle, pour David du Clary, spécialiste des énergies renouvelables agricoles à la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, la garantie financière de démantèlement repose sur une loi qui prévoit que cela incombe au propriétaire de le faire et « prévoit la possibilité, à partir d’un certain seuil de puissance, d’obliger des garanties financières. Il faudrait que ces exigences soient systématiques ».

Pour l’heure, la profession agricole s’applique à rédiger une charte départementale. Les deux Ministres sont favorables à « cette territorialisation des usages ». Et, selon les filières de production… Nul doute que les opérateurs énergétiques et leurs syndicats jouent leurs partitions de leur côté. Mais à coup sûr, la profession agricole a fait valoir ses arguments et à marquer des points avec des propositions argumentées et dans « l’intérêt général ».