Énergies renouvelables
La méthanisation a-t-elle encore de l’avenir ?

Valoriser ses déchets agricoles pour produire du biogaz ou de l’électricité aurait pu être une aubaine à l’heure de la crise énergétique, et notamment de la crise du gaz. Encore faut-il assurer l’investissement et le fonctionnement d’unités de plus en plus onéreuses et de moins en moins rentables.

La méthanisation a-t-elle encore de l’avenir ?
L’unité de méthanisation en injection AgriMethaBresse

Depuis la fin 2020, on assiste à un ralentissement voire, un arrêt de la méthanisation en France. En cause, la flambée des prix de l’énergie, la baisse des subventions, les contraintes réglementaires qui se multiplient ou encore le coût d’investissement qui ne cessent d’augmenter. Le taux de rentabilité serait aujourd’hui inférieur à 2 %. Un coup de frein conjoncturel qui semble dissuader les exploitants agricoles d’investir dans ces unités de méthanisation, qu’elles soient en injection, pour alimenter le réseau en biogaz, ou en cogénération, pour transformer le biométhane en électricité. « En moyenne dans le Centre Est ces dernières années, nous avions une quarantaine de projets déposés par an. Nous n’en avons plus que cinq au maximum, et il s’agit de projets déjà bien engagés », concède Denis Mecrin, chef de projet régional biométhane chef GRDF. Plus qu’un coup de frein à la méthanisation du pays, la conjoncture actuelle menace-t-elle la pérennité des exploitations de méthanisation agricole existantes ?

Les unités en injection

Il existe, en Saône-et-Loire, au moins trois unités de méthanisation agricole en injection sur le réseau GRDF. Le plus récent a été mis en service à la mi-septembre 2022, à Pierre-de-Bresse ; AgriMetaBresse, à Simard, regroupe six exploitations ; enfin Méthanergie, à Ciel, fut le premier de ce type dans le département. Une dizaine d’exploitants agricoles basés autour de Ciel ont suivi Jean-Louis Moratin et son frère Jean-Paul, tous deux éleveurs et céréaliers, dans leur projet de méthaniseur qui aura coûté près de six millions d’euros (lire notre article publié en ligne le 20 septembre 2019). Selon Jean-Louis Moratin, un projet comme celui de Méthanergie coûterait aujourd’hui 30 % plus cher. « Ce n’est plus rentable de se lancer dans un tel projet à l’heure actuelle. Le prix du gaz a baissé tandis que les coûts de production et de fonctionnement ont augmenté. Je ne vois plus aucun projet se monter, si ce n’est la construction de ceux qui avaient déjà réservé leurs unités en injection de biogaz ». Pourtant, l’unité de Ciel fonctionne si bien qu’elle prévoit d’augmenter, encore, sa production. Actuellement, elle valorise près de 30.000 tonnes d’intrants par an, des fumiers et lisiers divers (bovins, équins, porcins, etc.), des coproduits agricoles (ensilages, issues de céréales, déchets verts, etc.) et des coproduits industriels (jus, légumes ou autres) fournis par une dizaine d’exploitants dans un rayon de quinze kilomètres. La production annuelle de gaz naturel est, ici, de plus de 10.652 MWh/an, l’équivalent du chauffage annuel de près de 550 foyers. « En tant que producteur, nous n’avons pas le droit de vendre notre gaz. Nous le vendons donc à un fournisseur. GRDF assure pour sa part le transport », précise Jean-Louis Moratin. La plupart des producteurs bénéficient actuellement d’un tarif d’achat compris entre 64 et 139 € du MWh. Ce tarif, fixé pour 15 ans, dépend de la taille de l’installation et de la nature des déchets traités (prime aux intrants). Une source de revenus largement insuffisante au regard de l’investissement financier et humain. L’effet Covid a, de surcroît, engendré un retard problématique pour les contrats fournisseurs. En raison de la baisse des tarifs d’achat programmée à la fin 2020, plusieurs exploitants s’étaient empressés de signer un contrat fournisseur pour bénéficier d’un meilleur prix avant échéance ; mais la durée du prix fixe garanti débute (le fameux 15 ans) commence à courir, au plus tard, trois ans après la signature du contrat, que l’unité soit en service ou non. Nombre d’exploitants se sont donc retrouvés avec un contrat fournisseur, sans rien pouvoir injecter. « Pour remédier à cette situation, les pouvoirs publics viennent d’autoriser un délai supplémentaire de 18 mois », explique le chargé de mission de GRDF.

Le cogénérateur du GAEC des Trois communes permet de transformer l'énergie produite en électricité

 

Denis Mecrin se veut optimiste et prévoit une revalorisation du tarif d’achat, qui devrait être de l’ordre de 10 et 15 %, pour le mois de novembre. Une revalorisation qui risque de ne pas suffire à amortir le choc des dépenses. À très court terme, les charges menacent la pérennité des exploitations en injection, en général moins anciennes, et censées être plus rentables que les unités en cogénération. « Une unité capable d’injecter 150 à 200 nm³/h consomme un million de KW/h par an, mais le kW/h pourrait passer de 8 à 40 centimes d’euros. Une telle charge menace de tuer les exploitations de méthanisation », se désole David du Clary, chargé de mission EnR à la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire.

Les unités en cogénération

Les charges de la méthanisation explosent, à tous les niveaux et pour les différents types de structures, comme le souligne David du Clary, chargé de mission EnR à la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire : « un arrêté de juin 2021 impose, de façon rétroactive, un certain nombre de travaux (couverture des fosses de stockage des digestats, d’étanchéification des sites, etc.) qui représentent parfois plusieurs centaines de milliers d’euros. Face à un tel investissement, certains préfèrent attendre la fin de leur contrat pour, tout simplement, stopper leur unité de méthanisation plutôt que de se mettre aux normes ». C’est ce qui risque d’arriver notamment pour les unités en cogénération, souvent plus petites, et qui ne peuvent se permettre d’investir 300.000 euros pour se mettre aux normes. « Trois cent mille euros, c’est justement la somme qu’elles ont déjà déboursée pour un cogénérateur neuf de 50 kW », explique David du Clary. Cette réglementation, risque à moyen terme, de tuer les exploitations à cogénération agricoles. Pour rappel, une unité autonome de ce type a été inaugurée en 2018 à la Chapelle-Thècle, au Gaec des Trois Communes. À l’époque, la construction avait coûté 752.000 € HT, dont 45.000 € pour un séchoir et 22.000 € pour le raccordement électrique haute tension. L’Ademe et la Région avaient participé à hauteur 280.767 €. Cette unité est capable de valoriser près de 2.500 tonnes de lisier et fumier bovin, et plus de 300 tonnes de Cive* qui proviennent à près de 80 % du Gaec. Outre le séchoir à plat de deux cellules de 60 m², le cogénérateur permet de chauffer deux maisons, grâce à un réseau de 500 mètres, et le distributeur automatique de lait pour les veaux. Le module de cogénération fonctionne avec un moteur permettant de générer 64 kWe (puissance électrique nette développable, générée avant transformation éventuelle vers le réseau), soit environ 87 kWh. Il aura néanmoins fallu près d’un an d’apprentissage aux exploitants, sur la recette et la conduite, pour atteindre un régime de production nominal et stabilisé. Aujourd’hui, peu d’exploitants de Saône-et-Loire semblent disposés à se lancer dans une telle aventure. Bien sûr, de nouvelles aides sont annoncées, certaines sont même déjà en place, « mais ce sont des aides à la décision, pas au financement, précise David du Clary. La commission de régulation de l’énergie a publié un référentiel du prix de l’électricité pour les entreprises en fonction de leur taille et de leurs profits ». Un outil pour lutter contre la spéculation mais qui s’adresse uniquement à ceux qui sont en position de négocier leur contrat, sachant que certains fournisseurs proposent actuellement des tarifs avec une marge de bénéfice de l’ordre de 40 %, qui n’ont rien à voir avec les réalités du marché.

Ariane Tilve

Méthanergie, l'unité en injection de Ciel.

Quel que soit le type d’unité, le besoin en biomasse fermentescible est, évidemment, une constante. L’année dernière, cette biomasse était à 73 % d’origine résiduaire, selon une étude publiée à la rentrée par FranceAgriMer à la rentrée. Toujours selon cette étude, un millier d’unités de biogaz étaient installées au 31 décembre 2021, auxquelles pourraient s’ajouter environ 800 projets, ce qui « pourrait susciter des tensions sur certains approvisionnements locaux en biomasse ». Encore faut-il que ces projets voient le jour.