AG Interval
L’heure des choix

Plus de 400 personnes étaient présentes à Arc-les-Gray pour l’assemblée générale de la coopérative Interval. Accidents climatiques et envolée des prix des approvisionnements ont compliqué l’exercice écoulé.

L’heure des choix
Didier Vagnaux a regretté la complexification des mécanismes permettant d’accéder aux aides PAC, alors que les risques de pénurie alimentaires devraient être mieux pris en compte.

« Ce fut réellement une année difficile à gérer et je crois malheureusement que 2023 ne sera pas en reste » : c’est par ces mots que le président Didier Vagnaux concluait son rapport moral, après avoir souligné « les difficultés rencontrées par l’ensemble de l’équipe de direction et plus largement par l’ensemble de l’encadrement tout au long de cet exercice, tant par la gestion d’une collecte d’été médiocre que par le contexte géopolitique difficile et la violence des marchés qui en découle. »

Le bilan d’activité de la coopérative pour l’exercice 2021-2022 dressé par le directeur Philippe Guichard a détaillé ces éléments de contexte et leurs conséquences pour les différents secteurs d’activité d’Interval. Ainsi, du côté de la collecte, qui progresse en volume de 12% par rapport à 2020, les pluies incessantes de juillet ont détérioré les rendements et la qualité des céréales jusqu’alors prometteuses. Ainsi, seulement 51% des orges d’hiver sont parties en brasserie, avec des poids spécifiques historiquement bas. 52% des blés de la coopérative ont pu trouver un débouché meunier, 27% en amidonnerie, 20% en alimentation du bétail… « Fort heureusement, la collecte d’automne fut tout autre avec des rendementz élevés en maïs et une qualité sanitaire au rendez-vous ».

Une collecte de maïs en progression de 70,4%

Rendements élevés sur une sole stable ont permis une collecte 2020 de 88 000 T de maïs (soit une progression de 70,4%), valorisées à 78% en amidonnerie et 22% en alimentation du bétail.

Le chiffre d’affaires céréales de la coopérative progresse de 34% pour s’établir à 115,2 millions d’euros, tiré par des prix en hausse, qui s’expliquent par la conjoncture mondiale (forte demande sur toutes les matières premières agricoles conjuguée à une baisse des productions chez les principaux exportateurs. Sans oublier l’effet de la guerre en Ukraine sur fin de campagne… Alors que pour le blé meunier le Matif s’est stabilisé à 280 €/T, l’indisponibilité brutale de 13 millions de tonnes de blés russes et ukrainiens provoque une envolée des cours à 427,5 € le 27 avril 2022. Pour les orges fourragères et de brasserie, c’est la forte demande chinoise qui orientera les cours à la hausse, dans des proportions inédites (plus de 100% de hausse sur les orges de brasserie entre juillet 2021 et avril 2022. »

Dans le domaine des approvisionnements, c’est la hausse des cours des ‘’produits de nutrition des plantes’’ qui expliquent, plus que l’augmentation de la consommation en engrais azotés (+3%) la progression du chiffre d’affaires de cette catégorie (+42%). Les semences progressent de 1,8%, dans une campagne caractérisée par la baisse des semis de fourragères et intercultures (compliqués par les conditions météorologiques) et le recul des surfaces en colza, compensées par la forte progression des cultures de printemps (+40% pour le soja et +50% pour le tournesol). La pression des ravageurs a boosté les ventes d’insecticides (+20%) et des molluscides (+90%).

Inquiétante restructuration laitière

Concluons ce tour d’horizon par le secteur nutrition animale, avec « une année exceptionnelle au niveau fourrager », qui a permis la reconstitution des stocks des exploitations d’élevage. Dans ce contexte, les ventes d’aliment fabriqué (granulé, mash, mash fibreux, mélanges à la carte…) stagnent (-0,6% en volume à 42 213 tonnes). Mais ce qui inquiète la coopérative, c’est le climat anxiogène généré par l’inflation post-pandémie, la guerre en Ukraine, et désormais la précarité énergétique… autant de surcoût qui impactes les marges des filières laitières. « La France manquera peut-être bientôt de lait, et les 500€ les 1000 litres annoncés pour début 2023 arriveront peut-être trop tard. Les fermes qui abandonnent la production laitière ne font jamais marche arrière et leurs productions seront hélas définitivement perdues, a déploré le président dans son rapport moral. Nous ne pouvons pas toujours être le pays européen où le prix est le plus faible, surtout lorsque les possibilités de productions à revenu plus lucratif existent, que ce soient les céréales et oléagineux et plus récemment les viandes bovines et ovines. »

AC

Sylvie Brunel défend une agriculture forte et plurielle pour répondre aux grands enjeux alimentaires et énergétiques des prochaines décennies.
Sylvie Brunel, universitaire et géographe

« Je vous ai apporté des munitions… »

Conspués sur les réseaux sociaux, et parfois jusque dans leurs propres repas de famille, suspects dans tous leurs gestes professionnels, fragilisés économiquement par les crises, les agriculteurs en viennent parfois à douter de la légitimité de leur activité. Sylvie Brunel, géographe, leur a donné quelques raisons de croire en l’avenir de leurs métiers.

Enseignante en géographie à Paris Sorbonne, passée de 84 à 89 par l’ONG ‘’Médecins sans frontière’’, Sylvie Brunel est une figure bien connue du monde agricole, invitée régulièrement, comme à l’assemblée générale de la coopérative Interval. « Vous êtes aussi écrivaine et vous venez de sortir un ouvrage intitulé ‘’Pourquoi les paysans vont sauver le monde’’… », introduit Didier Vagnaux, le président. La géographe a commencé par brosser un rapide tableau de « la confluence des calamités » que l’on observe depuis quelques mois : phénomènes météorplogiques exceptionnels, crise énergétique, pénuries alimentaires, inflation… Ce dernier point peut-être plus préoccupant que tous les autres car « le prix de la nourriture conditionne la paix sociale… d’où les stocks stratégiques constitués par les Chinois, ainsi que de nouveaux acheteurs (le Mexique par exemple) : de nombreux pays sont très dépendants de la Russie et de l’Ukraine pour leurs approvisionnements en blé. »

Une agriculture à la peine

Si la crise est mondiale, la France aussi est touchée. « L’agriculture française souffre », reconnaît Sylvie Brunel, qui a écrit un livre sur l’arboriculture fruitière, filière aussi attaquée, pour l’emploi des produits de traitement, et qui peine à recruter. « Le développement est devenu ‘’durable’’, mais il faut comprendre punitif, voir pénitentiaire ! Va-t-on protéger les terres immergées avec ou contre les agriculteurs ? Le développement durable consiste à produire des richesses pour pouvoir les partager. », martèle-t-elle, avant de rappeler qu’avec seulement 5% de la SAU mondiale, la France détient un nombre record d’AOP et d’IGP, et que la qualité de ses paysages, façonnés par l’agriculture, attire chaque année 100 millions de touristes sur son sol. « A l’étranger les classes moyennes veulent manger et boire français.  L’UE qui ne produit que 8% des gaz à effet de serre veut être le modèle en matière de diminution des émissions ce qui se traduit dans la PAC et le dispositif farm to fork. Les Français payent le prix de cette politique : descente en gamme, privations, effondrement du bio… »

Une agriculture de solutions

Or, même dans le domaine de l’environnement, la géographe prône une « agriculture de solutions ». « Il nous manque 10% de notre production énergétique, l’agriculture peut apporter des réponses, avec la méthanisation, le solaire, l’éolien… Il faut sortir de ces choix politiques incohérents, assortis d’une armada de contrôles, d’un empilement de normes. L’élevage, aujourd’hui critiqué, constitue, vous le savez bien, le seul moyen de valoriser des territoires difficiles, d’entretenir des paysages et de convertir les protéines végétales en protéines animales, faciles à assimiler par l’organisme. »

Sylvie Brunel a aussi donné quelques clés pour lutter contre les idées reçues et les solutions toutes faites des partisans de la permaculture… derrière leur écran : les confronter au principe de réalité, à commencer par celle des chiffres. « Les ordres d’idées : malgré leurs fermes urbaines, leurs Amap… les métropoles n’assurent que 2% de leur approvisionnement alimentaire, tandis que 7% de la production bretonne suffirait à nourrir la Bretagne. Les AMAP en Île de France c’est 3 500 T de nourriture, les besoins 2 millions de tonnes ! » En termes de protection des plantes, elle a convoqué le souvenir des doryphores… « Méfions-nous d’une vision idéalisée de la nature. Notre agriculture est plutôt exemplaire. » Et de donner quelques pistes pour les dirigeants de la coopérative « anticipez les évolutions règlementaires, afin de pouvoir réagriculturiser la France ! »

AC