FNEDT
Entretenir la forêt pour la protéger

La Fédération Nationale des Entrepreneurs des Territoires (FNEDT) s’est rendue dans le Jura pour passer en revue les solutions envisageables afin de rendre la forêt plus résiliente face aux incendies qui ont touché la France cet été. Élagage des arbres, taille des haies, obligation de débroussaillement, création de dessertes et de coupe-feu mais aussi replantation ont été évoqués.

Entretenir la forêt pour la protéger
Avec son tracteur équipé de trois lames, Julien Fourtier, entrepreneur en travaux agricoles, réalise un travail de précision qui préserve les nids d'oiseaux

Mille hectares ont brûlé dans le Jura, 300 hectares dans les Vosges, une ampleur rarement connue dans ces massifs. Même la Normandie a été touchée. Au total, en France, 65 578 ha de forêts, landes et champs cultivés ont été touchés par les incendies. Les entreprises de travaux forestiers et agricoles étaient en première ligne aux côtés du SDIS, de la DFCI, des maires et des agriculteurs pour accompagner la lutte sur le terrain.

Gérard Napias, président de la Fédération Nationale des Entrepreneurs Des Territoires (FNEDT), s’est rendu dans le Jura pour échanger avec des entrepreneurs et les forestiers locaux et évoquer les conséquences de ces incendies ainsi que les mesures de prévention à mettre en œuvre pour qu’un tel sinistre ne se reproduise pas. Originaire des Landes, il connaît bien le sujet car ce département a été particulièrement touché par les feux de forêt cet été.

Création de voies d’accès 

« La protection contre les incendies devrait être incluse dans les plans de sauvegarde communaux et des chemins d’accès doivent être créés, » estime-t-il. « Surtout sur le deuxième plateau ou les terrains sont très accidentés avec beaucoup de dénivelé ». Pour Christian Bulle, président du syndicat régional des propriétaires de forêts privées, la création de dessertes est en cours à travers les projets d’ASA mais leur mise en place est longue : sept ans en moyenne dans le Jura.

L’entretien des forêts est primordial dans la lutte contre les flammes. Gérard Napias a pris l’exemple de la Teste-de-Buch, près du bassin d’Arcachon, ravagée par les incendies en juillet. « Dans cette forêt, le législateur a interdit d’abattre des bois, y compris pour les propriétaires, dans le but de préserver la faune et la flore. Il n’y avait aucun chemin ni pare-feu, les pompiers ont eu énormément de mal pour y accéder. Mais ça a eu l’effet inverse : de nombreux animaux sont morts dans l’incendie, même des oiseaux désorientés par la fumée ». Il regrette qu’aux yeux du grand public la nature doive rester sauvage : « Les entrepreneurs doivent expliquer à la société qu’il ne faut pas bannir les interventions humaines car elles servent aussi à protéger les écosystèmes ».

(de gauche à droite) Jordan Caillon, entrepreneur à Gigny-sur-Suran, Gérard Napias, président de la FNEDT, Julien Fourtier, entrepreneur à Macornay et Fernando Da Costa, président des entrepreneurs de territoires de Bourgogne Franche-Comté

Mais les idées reçues sont tenaces. « Nous sommes régulièrement interpellés, parfois avec agressivité, lorsque nous débroussaillons ou taillons des haies, » raconte Fernando Da Costa, président des entrepreneurs de territoires de Bourgogne Franche-Comté. « Nous sommes souvent pris en photo et affichés sur les réseaux sociaux et devons régulièrement faire appel au maire des communes sur lesquelles nous intervenons ».

Sur le terrain, les entrepreneurs des travaux agricoles et forestiers sont également confrontés à l’application des différentes réglementations, du code de l’environnement à la conditionnalité des aides PAC, dont les mesures n’ont pas été pensées pour la prévention des incendies (la taille et la coupe des arbres sont par exemple interdites du 1er avril au 31 juillet).

Une échelle pour le feu

Le président de la FNEDT cite l’exemple de la forêt des Landes : « Les lignes sont débroussaillées tous les 5 ans mais nous ne passons pas entre les arbres. Les pins les plus jeunes n’ont jamais été élagués pour des raisons économiques. Les flammes sautaient d’un arbre à l’autre. Ceux de 40 ans, qui autrefois étaient élagués, ont beaucoup mieux résistés ». Pour Christian Bulle, cette solution est difficilement applicable aux forêts jurassiennes en « futaie jardinée » ou les arbres de toutes tailles sont mélangés. « C’est vert partout, c’est une véritable échelle pour le feu, » explique-t-il.

Une concertation a aussi débuté en septembre entre les acteurs publics de l’application de l’Obligation Légale de Débroussaillement (OLD), avec l'enjeu d’augmenter le taux de réalisation sur le terrain avant la saison estivale 2023. Les sujets à traiter sont nombreux : périmètre d’application, partages de responsabilité, contrôle de la mise en œuvre, sans oublier les aspects économiques.

Autre grand chantier, la replantation des forêts, un enjeu majeur face à la sécheresse. La FNEDT appelle à une mobilisation rapide et totale des entreprises, de la filière forêt-bois, des centres de formation et des pouvoirs publics. Si cette replantation était mal gérée, l’industrie du bois pourrait manquer de matière première pendant plusieurs années. Après l’incendie de Maisod en 2018, la régénération naturelle a été stoppée par les cerfs et les chevreuils qui mangeaient les jeunes pousses.

S.C.

Démonstration

Un élagage doux pour préserver la faune

Julien Fourtier, entrepreneur en travaux agricoles à Macornay, a profité de la venue de la FNEDT pour faire une démonstration d’élagage doux. Avec son tracteur de 150 cv équipé d’un lamier au bout d’un bras télescopique de 7,30 mètres, il atteint les branches jusqu’à 8,50 mètres de hauteur.

Les trois lames, complétées par un couteau escamotable pour éviter la casse, permettent un élagage en précision. « J’enlève très peu de branchages, au maximum 40 cm et toujours de la matière molle pour éviter les nids d’oiseaux qui sont sur les branches dures aux milieux des haies, » explique l’entrepreneur. Il doit affûter les lames tous les trois jours : « Ça demande un quart d’heure par lame si elles sont intactes mais 90 minutes si elles sont abîmées ».

Pour protéger la cabine des branches qui tombent, Julien Fourtier a réalisé un « blindage maison » et l’engin est équipé de pneus très larges pour une moindre pression au sol.

Grâce à cet équipement qui a coûté 200 000 euros, il travaille aussi bien pour des communes, des collectivités, des ASA, des agriculteurs ou des particuliers. Seul bémol : il n’a pas l’agrément pour travailler en tourbière qui nécessite une modification irréversible du tracteur pour fonctionner avec des lubrifiants dégradables.

Des engins mis à rude épreuve

Le 13 août, le feu ravage les collines autour de Montrevel. Prévenu, Jordan Caillon, entrepreneur à Gigny-sur-Suran, se rend sur place pour prêter main forte aux pompiers. « Nous avons attaqué les travaux forestiers assez tard, au début de la nuit, » raconte-t-il. « Les conditions étaient compliquées car avec la fumée nous n’y voyions rien ».

L’objectif était de réaliser une ouverture coupe-feu de 15 mètres de large dans les bois pour stopper les flammes et permettre aux engins du SDIS d’y accéder au plus près mais aussi d’opérer un demi-tour en cas de danger. Jusqu’à 2h du matin, Jordan Caillon a broyé avant de devoir abandonner après plusieurs crevaisons consécutives sur son tracteur, pourtant équipé pour le travail en forêt. L’engin a ensuite été immobilisé une semaine, le temps de retrouver des pneus.

Finalement, la voie déblayée a permis aux camions de pompier de s’approcher des flammes mais n’était pas suffisamment large pour couper le feu qui est passé de l’autre côté. « Si ce couloir avait été fait à l’avance, moins de végétation aurait brûlée, » estime le président de la FNEDT Gérard Napias qui plaide pour une anticipation des risques d’incendie y compris dans les départements jusqu’ici épargnés.

L’ouverture réalisée en urgence n’a pas suffi à bloquer les flammes