Sauver la forêt jurassienne

Plan de relance/ Le préfet du Jura a rencontré les représentants des propriétaires forestiers privés du département pour évoquer les problèmes qu’ils rencontrent. Réchauffement climatique, crise des scolytes, parcelles mal desservies… Plusieurs solutions pour y faire face, comme la plantation de nouvelles essences et la mutualisation des parcelles ont été évoquées. Un groupe de travail réunissant les acteurs publics et privés de la forêt sera mis en place pour lui faire des propositions.

Sauver la forêt jurassienne
Malgré la neige, des arbres victimes des scolytes sont rapidement repérés

La forêt jurassienne est splendide sous la neige. Mais cette beauté cache une forêt qui souffre, mise en péril par le réchauffement climatique. Certaines essences d’arbres supportent mal les sécheresses répétées et la hausse des températures qui favorise le développement des scolytes, un coléoptère ravageur. Les épicéas jurassiens sont particulièrement touchés par ce double fléau.

Après avoir rencontré les représentants des communes forestières en octobre, David Philot, le préfet du Jura, s’est rendu à Mignovillard le 9 décembre pour faire le point sur la situation et évoquer le plan de relance et les solutions envisageables avec les représentants de la forêt privée : la chambre d’agriculture, le centre régional de la propriété forestière (CRPF) et le syndicat des forestiers privés de Franche-Comté (Fransylvia). Fait unique en France, les deux premiers organismes ont choisi de se rassembler et de coordonner leurs forces en créant l’Adefor 39 (association jurassienne pour le développement de la forêt). Les propriétaires forestiers ont ainsi un seul interlocuteur pour répondre à leurs attentes.

Croissance exponentielle des scolytes

Il n’aura pas fallu longtemps avant d’apercevoir, malgré la neige, les premiers arbres rougis par les scolytes. Ces insectes se développent avec la chaleur mais résistent au froid. « Lorsque l’on place un scolyte plusieurs jours au congélateur, il est toujours vivant quand on le décongèle », a expliqué la technicienne de l’Adefor 39 Maureen Constantin. « Pour parvenir à les tuer par le froid, il faudrait une température de -30°C pendant plusieurs semaines, ce qui est devenu très rare ». Le ravageur a toujours été présent dans le Jura, « mais avec le réchauffement climatique, un équilibre centenaire a été rompu, » poursuit-elle. « Les trois étés très chauds consécutifs ont favorisé sa croissance exponentielle en triplant son taux de reproduction. En 2019, on pouvait l’observer dans le Jura jusqu’à une altitude maximale de 800 mètres. En 2020, il a été aperçu jusqu’à 1000 mètres ». Malheureusement, quand on les repère, il est souvent déjà trop tard. Les scolytes passant d’arbres en arbres, une intervention rapide permettrait de diviser les dégâts par deux.

Le réchauffement climatique allant se poursuivre, la seule solution pour préserver la forêt est de remplacer les essences de bois présentes actuellement par des essences plus adaptées à la chaleur. Dans ce but, une enveloppe de 150 millions d’euros est prévue dans le plan de relance pour permettre le reboisement des forêts françaises d’ici 2023. Selon le prefet, la DRAAF (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt), la DDT (Direction départementale des territoires) et l’ONF (Office national des forêt) devront travailler conjointement pour utiliser et répartir au mieux cette somme en évitant le gaspillage.

150 millions d’euros pour la forêt

« C’est un montant non-négligeable », estime Christian Bulle, président du syndicat régional des forestiers privés. Il apporte toutefois un bémol : « Deux ans est une période trop courte, la forêt se gère sur le long terme. Il aurait été préférable de l’étaler plus dans le temps ».
Mais quelles essences replanter ? Alain Maire-Amiot, directeur de la chambre d’agriculture, est d’accord sur cette nécessité de temporiser car les professionnels sylvicoles sont pour l’instant démunis pour conseiller les propriétaires et les convaincre de reconstruire la forêt. Traditionnellement, le reboisement se fait naturellement dans le département. Ceux qui se lancent dans un reboisement artificiel optent souvent pour un mélange de résineux comprenant du douglas et du mélèze.

 

Le préfet a pu constater de visu les dégâts causés par l'insecte sur les grumes

Dans 20 ans, le climat du Jura devrait correspondre à celui du Sud-ouest actuel. La gestion de la forêt, jusque-là bien rodée, sera totalement chamboulée. « Jusqu’à présent nous encouragions le sapin car il est moins fragile que l’épicéa. Il va chercher l’eau plus profondément dans le sol et est donc moins stressé par les épisodes de sécheresse », explique le directeur du CRPF François Janex. « Mais nous essayons de nouvelles essences provenant de zones plus arides, comme le chêne ou le pin maritime. Nous avons un moment cru que le cèdre, qui résiste bien à la chaleur, serait la solution, mais finalement il est très sensible aux gelées tardives. » Depuis 2009, le CNPF mène des études d’adaptation de différentes essences d’arbres en fonction du climat et de la nature du sol. Elles sont regroupées au sein de BioClimSol, un outil numérique permettant de modéliser des cartes de vigilance en fonction des essences. « Mais la forêt se gère sur plusieurs générations, ce travail portera ses fruits peut-être que dans un siècle. » Une des solutions envisagée est un reboisement mélangeant différentes essences, afin de limiter les risques.

Une forêt difficilement accessible

Alain Maire-Amiot a ensuite évoqué une autre difficulté, d’ordre logistique : « Dans le Jura, beaucoup de parcelles ne sont pas exploitées car elles ne disposent ni de desserte, ni de point de dépôt pour les grumiers, surtout en montagne. » Pour abattre et retirer un arbre scolyté, il faut pouvoir y accéder. Autre particularité jurassienne, les propriétaires sont incités à se regrouper en ASA (association syndicale autorisée) pour mutualiser la création et l’entretien de ces voies d’accès. 102 ASA ont été mises en place depuis 20 ans dans le département. Elles représentent 15 % de la superficie totale de forêt privée. Dans le Haut-Jura, l’expérimentation va même plus loin. Une fruitière de gestion forestière a été créée. 230 propriétaires se sont regroupés pour organiser la gestion et la coupe de leurs 785 hectares
de forêt. En moyenne, trois nouveaux propriétaires y adhèrent chaque mois et s’engagent à y rester 18 ans pour pouvoir gérer la forêt sur le long terme. Ce projet est pour le moment soutenu par l’Adefor 39 mais le but est qu’il devienne à terme indépendant.

Visite d’une scierie

Après cette rencontre avec les acteurs de la forêt privée, le préfet s’est rendu à la scierie Chauvin où il a visité les différents ateliers entièrement automatisés, de la réception des grumes jusqu’aux produits finis et aux sous-produits. Vingt-cinq grumiers y déchargent quotidiennement leurs cargaisons, ce qui représente 200 000 mètres cube annuels. 60 % du bois qui y est traité est acquis auprès de propriétaires des environs. Fabrice et Stéphane Chauvin, les dirigeants, en ont profité pour fait part de leur stratégie et de leurs projets pour l’entreprise.
Des pistes de travail pour dynamiser cette filière bois grâce aux perspectives offertes par le plan de relance ont pu être élaborées. Le représentant de l’État a proposé de mettre en place un groupe de travail réunissant les acteurs forestiers publics et privés pour affiner les différents projets évoqués et lui faire des propositions.

SC

Les scolytes attaquent les arbres affaiblis par la sécheresse

Dans certaines forêts d’épicéas du quart nord-est de la France, les attaques de l’insecte nommé scolyte sont devenues incontrôlables. Le ravageur prolifère en raison des sécheresses qui contribuent aussi à affaiblir les arbres.
Les scolytes attaquent l’arbre en le forant et dans la sciure qu’ils produisent, ils émettent des phéromones qui attirent tous les autres individus. C’est alors une véritable curée pour l’arbre. Si ce dernier est résistant, il peut émettre de la résine qui engluera l’insecte, mais s’il est affaibli, ce qui est souvent le cas, il ne pourra pas se défendre. Le processus est très rapide : l’arbre peut être totalement couvert de galeries en trois à six semaines, tous les vaisseaux en charge de conduire la sève sont touchés.
Comme si cela ne suffisait pas, les scolytes véhiculent également des champignons qui donnent au bois une couleur bleue, les dépréciant d’autant plus. Il ne peut plus être utilisé pour des usages nobles (planches, charpentes, coffrage, caisserie) et ne trouve un débouché qu’en bois énergie, or ce marché est engorgé... parce qu’il ne fait pas assez froid.

BR