Prévention
Mal-être agricole : repérer le risque suicidaire

Les agriculteurs français présentent un taux de mortalité par suicide supérieur de 43% au reste de la population active, dû à de multiples facteurs. La MSA de Franche-Comté organisait ce 17 janvier à Abergement-le-Petit une réunion d’information sur le repérage de ce risque et les façons d’y faire face.

Mal-être agricole : repérer le risque suicidaire
« Il est possible de retrouver un équilibre après une crise suicidaire ».

Le mal-être en milieu agricole est une réalité préoccupante pouvant aller jusqu’au idées suicidaires. Pour y faire face, la MSA se mobilise pour accompagner les exploitants et salariés, ainsi que leur famille, dans des situations de souffrance et de détresse. Tous les services de l’organisme s’investissent sur cette mission : santé et sécurité au travail, prévention des risques professionnels, action sanitaire et sociale et vie institutionnelle.

Le 17 janvier à Abergement-le-Petit, une réunion publique d’information sur le repérage des risques suicidaires était organisée par la MSA de Franche-Comté et animée par Marine Dargon, infirmière du travail et Céline Canard, assistante de service social.

En Franche Comté, chaque année 3500 tentatives et 230 décès par suicide sont dénombrés. L’agriculture n’est pas épargnée. Au niveau national, les filières les plus touchées sont l'élevage bovin et la production laitière. Une réalité à pondérer en Franche-Comté car cette filière s’y porte mieux qu’ailleurs.

Une multitude de causes

Les causes pouvant provoquer des intentions suicidaires chez les exploitants sont multiples : chute des prix du lait, grippe aviaire, aléas climatiques, baisses de revenus, conditions de vie et de travail, isolement, complexité du métier, difficulté de communiquer au sein d'un Gaec ou familiales…  Le poids de la société joue aussi un rôle majeur : l’image du métier renvoyée par les médias, l’agribashing permanent, la sensation d’être toujours surveillé, voire des problèmes de voisinage peuvent aussi pousser des agriculteurs à passer à l’acte.

« La MSA est particulièrement vigilante en période de difficultés pour les agriculteurs, que ce soit une sécheresse intense, une succession d’attaques de loup, la baisse des cours du marché, » témoigne Céline Canard.

Le poids familial, celui des collègues et de la tradition agricole fait qu’il est parfois difficile de parler de ses problèmes. Ce n'est jamais facile de devoir revendre une ferme dans la famille depuis plusieurs générations. Le taux de suicides des installés hors cadre familial est moins élevé car ils n’ont pas ce poids sur la conscience. Celui des retraités agricoles, qui cessent leur activité, perdent leurs collègues et se retrouvent isolés, est deux fois plus élevé que dans l'ensemble de la population retraités. Contrairement aux idées reçues, le suicide n'est pas héréditaire. « Ce n'est pas génétique mais il y a toujours la possibilité de reproduire des schémas familiaux, » précise Marine Dargon.

Il faut différencier les idées suicidaires, l'intention et le passage à l'acte. Les crises suicidaires sont rarement spontanées, « sauf en cas d'effets raptus, qui fait buguer le cerveau d'un coup, » poursuit l’intervenante, « mais cela reste très rare ». La plupart du temps, elles durent de 6 à 8 semaines. C'est à ce moment que les tentatives peuvent survenir car le système de régulation psychologique de la personne ne suit plus, elle n'arrive plus à gérer ses émotions. Elles sont provoquées par une accumulation de problèmes, ou une difficulté unique qui s’aggrave et dure dans le temps. La personne a alors la sensation d’avoir épuisé toutes les solutions possibles et se sent épuisée. A ce moment, le passage à l'acte peut parfois être déclenché par un fait anodin tel qu’une simple panne de voiture ou une dispute de couple.

Ne jamais minimiser

Lorsqu'une personne passe à l’acte, son but n’est pas de mourir mais de stopper ses souffrances. Elle est alors très fragile et nécessite un suivi médical, voire médicamenteux, et psychologique. Seul, le soutien de la famille et de l’entourage est insuffisant. Après une crise, le risque de récidive est élevé. Mais il s’estompe progressivement. Il est alors possible de retrouver un équilibre. « Toutes les tentatives sont à surveiller, il ne faut jamais minimiser, » rappelle Marin Dargon.

« Les personnes qui tentent de se suicider ne veulent pas mourir, elles veulent que les problèmes disparaissent car elles ne voient plus de solutions, » a explique Marine Dargon, infirmière du travail à la MSA de Franche-Comté.

Lors d’une crise, la personne est submergée par ses émotions. Sa perception de la réalité est embrouillée et son comportement change brutalement. La moindre petite contrariété peut être perçue comme un tsunami. Les troubles de l'appétit, une consommation alcoolique de plus en plus élevée, une conduite automobile rapide et à risque, un renfermement sur soi peuvent être des signes révélateurs mais aussi des facteurs aggravants.

« Mais il n'existe pas de recette miracle pour déceler le risque, chaque cas est différent. Certains ne laissent jamais voir leur état suicidaire. Même nous qui sommes formés devons rester très humbles, » explique l’infirmière de la MSA.

Poser la question de but en blanc

Lorsqu'une personne décide de passer à l'acte, elle réfléchit d’abord à « où, quand et comment ». Une fois qu'elle a ce schéma en tête, elle ressent un état d'apaisement car elle pense avoir trouvé une solution à ses problèmes. Ce même état d'apaisement apparaît aussi après une tentative, mais ne signifie pas qu'il n'y aura pas récidive.

Lorsqu’une personne en crise suicidaire est décelée, il faut lui faire comprendre qu’elle peut toujours trouver de l’aide. La difficulté est d'enclencher un suivi sans faire d'ingérence. « En cas de suspicion, il faut oser poser la question de but en blanc et demander à la personne si elle pense au suicide, si elle voit la mort comme une solution, même si c'est délicat, » préconise Marine Dargon.

Le sempiternel « Comment ça va ? » est plus une formule de politesse qui attend une réponse positive et tourner autour du pot en demandant à la personne si elle a des idées noires n’est pas assez clair. Poser directement la question montre à la personne que quelqu'un est prêt à l'écouter. « Si on ne s’en sent pas capable, il faut demander à la famille, à un proche ou au médecin traitant de le faire. Il faut aussi pouvoir assumer la réponse ».

Ou, quand et comment ?

Cette question est le premier maillon de la chaîne de secours. Si elle n'empêche pas le passage à l'acte, elle permet de déclencher un suivi. Plusieurs fois confrontée à cette situation dans sa carrière, Marine Dargon témoigne que la plupart du temps la réponse est négative mais que ceux qui sont en réelle crise l’avouent.

Lorsque c’est le cas, il est nécessaire d’approfondir et de demander si la méthode, le lieu et la date ont été décidés, afin de déterminer l'urgence, puis de questionner la personne sur l'accessibilité des moyens (armes à feu, cordes, etc.) afin de les supprimer. « Si toutes les réponses sont positives, il faut immédiatement appeler le 15 ou le 112 car si rien n'est fait, cette personne passera à l'acte ».

Si l'urgence est moins prononcée, il faut inciter la personne à prendre rendez-vous avec la MSA ou à appeler son médecin, son délégué MSA ou la cellule de prévention du mal-être agricole Agri’écoute. En cas de refus, il est possible de le faire soi-même pour être conseillé.

S.C.

 

Agri’écoute : 09 69 39 29 19 (accessible 24h/24 et 7j/7)

Le réseau Sentinelles

Ceux qui veulent approfondir et s'investir dans le repérage et la prévention des risques suicidaires peuvent rejoindre le réseau Sentinelles mis en place par la MSA. S’appuyant sur une dynamique de maillage territorial, ce réseau est constitué de délégués MSA, de personnels d’organismes professionnels et de partenaires locaux. Il a pour mission de faciliter un repérage précoce des personnes en souffrance psychique et leur apporter une aide rapide et adaptée à leur situation.

Ce réseau s’inscrit dans le plan national d’actions contre le suicide en agriculture que la MSA décline depuis plusieurs années.

Le suicide en chiffres :

200 000 tentatives et 10 500 suicides sont dénombrés chaque année en France. Ce chiffre est minimisé car de nombreux suicides n’y sont pas comptabilisés (Par exemple, ceux qui tentent de se donner la mort en voiture sont répertoriés dans les accidents).

Les hommes se suicident plus souvent que les femmes, surtout s'ils sont célibataires veufs où chômeurs : 80% des cas concernent des hommes de 45 à 65 ans. Mais cela ne veut pas dire que des femmes mariées avec des enfants ne passeront pas à l’acte.

Le suicide est la première cause de mortalité chez les 15 - 35 ans.

La mortalité augmente avec l'âge : plus on est âgé moins on se loupe.

La Bretagne et la région la plus touchée avec 25 suicides pour 100000 habitants.

En automne et en hiver le nombre de dépressions et de suicides sont en recrudescence.

Le COVID a fait augmenter le nombre de tentatives chez les jeunes de 299%.