Document historique
Une fruitière à Poligny dès 1263

La copie d’un document unique trône désormais à l’hôtel de ville de Poligny, offert par Jean-Charles Arnaud : le Cartulaire des Sires d’Arlay, ou cartulaire bleu. Dans ce registre du XIIIème siècle, à la page 109, l’acte de vente en mars 1263 des terres de Girars de Neufchatel, chevalier et connétable de Bourgogne, à la comtesse Lore. Parmi les propriétés vendues : la « fructerie de Poloingney », ou en français moderne, la fruitière de Poligny. Il s’agit de la plus ancienne inscription connue mentionnant les fruitières.

Une fruitière à Poligny dès 1263
750 ans se sont écoulés depuis la rédaction de cet acte de vente de la fruitière de Poligny

Vingt années de travail auront été nécessaires au fromager Jean-Charles Arnaud, président de Juraflore, pour avoir accès à ce Cartulaire des Sires d’Arlay. Il a débuté ses recherches lorsqu’il était président de l’Inao : pour éviter que l’appellation gruyère ne devienne exclusivement suisse, il lui fallait des preuves historiques de sa présence en Franche-Comté.

Ses investigations le mèneront à Londres, à la British Librairy. Le cartulaire est retrouvé et une copie sous microfilm lui est remise. Malheureusement, elle est de mauvaise qualité. Le document ayant subi les outrages du temps, le texte écrit en vieux français et en caractères gothiques est très difficile à lire. Jean-Charles Arnaud ne se décourage pas. Il profite de la période covid et des confinements pour réclamer une copie numérique de meilleure qualité afin de nettoyer et traduire les textes. Entre temps, il a identifié grâce à d’autres documents la page qui l’intéresse.

Vend « usages et droits que j’avais en fruitière »

Sur cette page 109, la lettre de Girars de Neufchatel, reconnaissant avoir vendu à la comtesse Lore, « Comtesse de Bourgogne et Dame de Salins », tout ce qu’il « avait et été censé avoir à la rivière de Loue ainsi qu’à Poligny, en prés, en champs, en bois, en rivières, en justices, en seigneuries », mais surtout « en usages et droits que j’avais en fruitières… ».

Particularité de l’époque médiévale, les paysans et les serfs, vendus en même temps que leur ferme, sont nommément mentionnés dans l’acte de vente : « J’ai vendu, quitté et baillé à noble Dame Lore […] Perrin, le fils à la parole, et sa ferme, Renaut, son frère et sa ferme, Guillemin, son cousin et sa ferme, le grenetier et sa ferme, la femme Estevenin du Pré et sa ferme… ». Granges, vignes, patronages, corvées et fief seigneuriaux sont aussi cédés à la Comtesse de Bourgogne. A Arbois, il ne conserve que les biens « de la charge de connétable » (responsable des écuries royales) et ce qui « Vient de [sa] femme ». Le tout est vendu « sept cents livres, moins trente livres, des deniers bons et loyaux, lesquels j’ai reçu de la dite Comtesse, deniers comptés et me considère bien payé ».

Rendez-vous dans 250 ans

Face à un tel document historique, Jean-Charles Arnaud, décide de faire réaliser plusieurs fac-similés. Il s'est permis une petite fantaisie en rajoutant un post-scriptum adressé au futur maire de Poligny en 2263, lui demandant « d'organiser comme il se doit le millénaire de l'achat de la fruitière pour rendre hommage aux centaines de générations qui ont fait ce fromage ».

Lors de la cérémonie pour présenter le cartulaire, Dominique Bonnet a remis la médaille de la ville à Jean-Charles Arnaud

La première copie est remise à la Ville de Poligny lors d’une réception le 23 juin. Pour Dominique Bonnet, l’actuel maire de Poligny, « les bases connues du Comté sont donc officialisées par ce cartulaire. La Capitale du Comté renforce son statut avec la présence de ce magnifique ouvrage retrouvé avec obstination par Jean-Charles Arnaud ». A l’issue de cette présentation du cartulaire, la médaille de la Ville a été remise au fromager « pour honorer son action ».

« Un jalon dans l'histoire du comté »

Un second exemplaire trouvera sa place à la Maison du Comté et le troisième sera remis à la fruitière de Déservillers, évoquée avec celle de Levier, quelques pages après celle de Poligny dans le cartulaire, en date de septembre 1272.

« Ce n'est qu'un jalon dans l'histoire du comté, du gruyère, du vacherin, quel que soit le nom qu'on lui donne mais un jalon de 750 ans. Nous savons maintenant que ça a démarré avec les Séquanes entre 500 et 800 ans avant notre ère, » raconte Jean-Charles Arnaud. « Il existe aussi des traces écrites par un géographe grec après la conquête des Gaulles. Si le fromage voyageait jusqu’à Rome, il s’agissait obligatoirement d’une pâte pressée. Nous ne sommes qu’un moment dans la vie d’une culture, d’une histoire, que nous devons transmettre aux futures générations ».

Une histoire qui se perpétue depuis des siècles, voir des millénaires. Aujourd’hui, 800 000 meules de comté vieillissent dans les caves des affineurs polinois.

S.C.

Pour Christelle Morbois, vice-présidente du conseil départemental, « cette recherche a donné renaissance à un document exceptionnel pour le Jura, pour la filière Comté et pour notre belle ville de Poligny ».