Une première scierie « AOC bois du Jura »

La scierie Grandpierre à Champagnole est la première à être labellisée « AOC bois du Jura ». Gilles Grandpierre, qui l’a acquise en 2015 après l’incendie accidentel de celle qu’il possédait à Châtel-de-Joux, vient de la transmettre à sa fille Marie qui doit concilier son rôle de chef d’entreprise et celui de mère.

Une première scierie « AOC bois du Jura »
Gilles et Marie Grandpierre devant les premiers grumes AOC bois du Jura

Parisien d'origine, Gilles Grandpierre a passé son enfance dans une ferme laitière en Normandie. Après des études d'ingénieur, il est toujours resté proche du monde agricole et a dirigé plusieurs OPA en Bourgogne Franche-Comté. Il est tour à tour directeur d’une fruitière dans le Doubs, de la coopérative de Bletterans (avant qu'elle ne devienne Terre Comtoise), de la fédération des coopératives laitières du Doubs puis de la chambre régionale d'Agriculture de Bourgogne. « Ces métiers m'ont beaucoup plu, beaucoup appris, » se souvient-il. « Avec le comté et ses valeurs collectives, j'ai découvert un autre monde ».

Au milieu des années 2000, à l’âge de 48 ans, il décide de se lancer à son compte et cherche une ferme ou une entreprise à reprendre dans le Jura. « La CCI m’a présenté une scierie à vendre à Châtel-de-Joux, le prix était dans mes cordes. Je me suis lancé. J’avais déjà travaillé dans l’achat et la revente de blé mais n’y connaissais rien en commerce de bois. J'ai dû apprendre le vocabulaire, découvrir le matériel. Mais il y a de nombreux points communs entre la sylviculture et l’agriculture : on transforme les produits issus de la terre. La seule différence est qu’au lieu de pousser en un an, ils poussent en 80 ans ».

Sa fille Marie a fait les 15 derniers bilans et s'est aperçu que l'entreprise ne dégageait aucun bénéfice. Pour qu'elle devienne rentable, Gilles a augmenté les prix de vente car le marché du bois était alors porteur. Mais en juillet 2015, un incendie accidentel est déclenché par un frottement dans une machine. La scierie brûle intégralement.

Avant d’obtenir l’agrément bois du Jura, la scierie Grandpierre avait le label Jura Supérieur

Après avoir étudié diverses options, Gilles Grandpierre décide de racheter une scierie à Champagnole. « L'entreprise était à redresser : le matériel n'était pas adapté et elle achetait son bois à 300 km de là. Nous avons perdu de l'argent les trois premières années. Nous savions qu'il y aurait des difficultés mais pas autant. » Marie, alors directrice commerciale, se charge de démarcher de nouveaux clients. Elle gère aussi les ressources humaines, l’informatique, l’administratif de la commande à la facturation et le séquencement de la production, en collaboration avec le responsable. Les premiers bénéfices sont dégagés en 2020 malgré le covid.

Déjà labellisée « Jura supérieur », la scierie est la première à obtenir l’agrément « AOC bois du Jura » en juillet 2020. « Venant du monde du comté, je savais qu'une AOC apportait un plus, » révèle Gilles Grandpierre.

L’AOC bois du Jura est la seconde AOC bois, après celle de Chartreuse. Pour qu'un bois de sapin ou d'épicéa soit AOC, il doit avoir poussé sur une aire géographique à cheval sur le Jura et le Haut-Doubs, au-dessus de 500 mètres d'altitude, sur une parcelle agréée et respectant les futaies jardinées. Grâce au climat froid, les arbres poussent lentement et en hauteur. Les cernes très serrés lui confèrent une résistance mécanique supérieure à la moyenne. « Il y a 100 ans, certains clients exigeaient déjà du bois du Jura, » explique le scieur.  « Ce n'est pas pour rien que les arbres pour les mâts de bateaux étaient coupés dans le département. L’ONF joue le jeu, les forêts domaniales respectant ces conditions sont toutes en AOC. Certains propriétaires privés commencent aussi à s'y mettre car ils ont compris leur intérêt. »

L’AOC bois du Jura se distingue du label « Jura supérieur » par son cahier des charges et son obligation de traçabilité. Elle garantit de savoir quel est le bûcheron qui a coupé l’arbre, à quelle date et sur quelle parcelle. Elle nécessite aussi un véritable savoir-faire car il faut trouver puis trier les meilleurs bois. Economiquement, le prix du bois AOC devrait être de 15 à 20 % plus cher que le bois traditionnel mais paradoxalement, avec les cours mondiaux qui s'envolent, il est actuellement moins cher.

La scierie Grandpierre a décroché sa première commande AOC bois du Jura, d’un volume entre 70 et 100 m3, pour la future maison de santé de Champagnole. « Nous avons rencontré les charpentiers, les architectes pour connaître précisément leurs besoins. Du lamellé-collé à partir de bois AOC sera aussi produit. Lorsque nous travaillerons sur ce chantier, nous viderons auparavant la scierie afin de bien différencier les bois ».

SC

Cheffe d’entreprise et mère

Depuis le 1er septembre, Marie Grandpierre est la nouvelle dirigeante de la scierie. Après une licence de maths appliquées et sciences sociales, elle a fait des études de sciences économiques et une école de commerce. « J'appelle plutôt ça une école de gestion car, plus que le commerce, on apprend à manager, à gérer, » estime-t-elle. Elle a débuté dans l'hôtellerie, « un métier complet en matière de gestion » avant de travailler dans la communication. Elle est ensuite devenue responsable administrative et communication dans une entreprise innovante, de style start-up, à Paris où elle est restée quatre ans. « J'étais le bras droit du dirigeant, » précise-t-elle.

« Je commençais à penser à reprendre une entreprise quand la scierie de Chatel-de-Joux a brûlé ». Son père lui a alors demandé son aide pour reconstruire. « En 3 jours, j'avais pris ma décision, » raconte Marie Grandpierre. « Je ne regrette rien, il y a beaucoup de côtés positifs, on travaille un matériau noble géré de façon durable ».

Marie est aussi maman de 2 enfants, âgés de 3 ans et un an et demi. « Je suis chargée d'entreprise et chargée de famille. Même si mon mari est très sensibilisé et m’épaule beaucoup, cela demande des sacrifices, du temps et de l’énergie. Le travail prend une place énorme :  quand quelqu'un est absent, il faut faire des choix et prioriser même si c'est le jour d'anniversaire d'un des enfants. Vous souhaitez être aux côtés des vôtres mais il faut donner un coup de collier au travail pour que les délais soient respectés. Sans dire lesquels on fait, il faut faire des choix mais in fine l’entreprise doit tourner. »

Quand elle rentre du travail, Marie doit penser à ses enfants, au repas, gérer les horaires de crèche, les fermetures de classe à cause du COVID… « Il faut s’arranger pour que les enfants mangent à heure régulière. De nos jours, la charge mentale est beaucoup plus endossée par les femmes, parce qu’elles le veulent en partie, mais aussi parce que personne ne fait les choses à leur place. Mettre la table, faire la lessive, la vaisselle, le ménage, c’est aussi du travail même si ce n’est pas rémunéré. Il faut partager ces tâches mais force est de constater qu’elles sont principalement gérées par les femmes. C'est dû à des millénaires de structuration de la place de la femme. J'assume mes choix mais la société a du mal à accepter qu'une maman ne voit ses enfants qu'une heure par jour. Par mon éducation, j’ai appris que j’avais les mêmes capacités qu'un garçon : j'ai intégré que je pouvais faire ce que je veux tout en étant respectée en tant que femme ».

Quand elle est arrivée à la scierie, l’accueil de l’équipe a été « excellent ». Dans le Jura, plusieurs femmes dirigent des scieries. « Ce milieu n'est pas trop machiste, en tout cas il ne l’est pas plus qu'ailleurs, » estime Marie Grandpierre. « C'est à nous, femmes dirigeantes, de prendre notre place. »

La scierie s’étend sur 6 hectares

La scierie Grandpierre en chiffres

La scierie Grandpierre est située sur un site de 6 hectares à Champagnole. Elle emploie 20 salariés et collecte 80 % de son bois à moins de 30 km, et le reste à moins de 50 km. Depuis que Gilles Grandpierre l’a reprise en 2016, son chiffre d’affaires ne cesse d’augmenter : il est passé en 5 ans de 1,8 millions d’euros à 4,8 millions cette année. Dans le même temps, le volume de grumes travaillé est passé de 20 000 à 30 000 m3 et celui de bois scié de 12 000 à 18 000 m3. La différence est transformée en plaquette pour la pâte à papier et en sciure. Les écorces deviennent du paillage pour les vignes de Champagne ou du terreau.