SOLIDARITÉ PAYSANS
Comment rebondir ?

Face aux difficultés, comment rebondir ? Un thème volontairement optimiste proposé par Solidarité paysans Jura lors de son asssemblée générale.
Comment rebondir ?

Pour son assemblée générale, Solidarité paysans a fait appel à une association belge, Agricall Wallonie, qui, elle aussi, s'est donné pour misssion d'accompagner les agriculteurs en difficultés gratuitement. Les intervenants d'Agricall sont des professionnels, une équipe pluridisciplinaire de 13 salariés composée d'agronomes, de psychologues indépendants, d'une juriste et d'un assistant social. Solidarité paysans s'appuie de son côté sur un réseau de 34 bénévoles. Autre particularité : Agricall reçoit d'importants soutiens financiers de la région wallonne pendant que Solidarité paysans peine à augmenter ses subventions ou du moins à les maintenir. Passés ces différences entre les deux structures, les problèmes rencontrés par les agriculteurs de part et d'autre de la frontière se ressemblent. Des recherches menées au début des années 2000 ont montré que 30% de la population agricole wallonne avait un niveau d'épuisement professionnel élevé et que les risques d'accidents et de maladies professionnelles en faisaient un des 5 secteurs les plus dangereux. La Wallonie compte environ 12 000 exploitations agricoles.

 

Prendre le temps

 

Il fut intéressant d'entendre les témoignages de deux psychologues d'Agricall sur leur travail quotidien. "Nous intervenons à la demande de l'agriculteur. L'accompagnement est centré d'abord sur la personne puis sur l'exploitation. Il faut faire très attention à ne pas arriver comme des cow-boys mais comprendre comment fonctionne l'agriculteur, quels sont les enjeux familiaux, sinon l'audit ou le conseil technique ne sera pas pris comme un acte respectueux", explique Laurence Leruse, intervenante Agricall.
A sa création en 2001, Agricall propose deux services : une plateforme de soutien téléphonique et la visite d'un psychologue à domicile "pour poser les difficultés". Au fil des années, s'ajoutent un accompagnement technique et économique des exploitations, ainsi qu'un suivi juridique."Au delà du suivi socio-psychologique, nous avions besoin d'une approche globale de l'exploitation pour stopper l'hémorragie de la dette, relancer l'outil et rembourser les créanciers".
La philosophie de l'accompagnement est basée sur la confidentialité et le travail en réseau, tout comme à Solidarité paysans. Les deux associations ont le même souci de renouer les relations avec les instutions (banques, organismes agricoles...). "Agricall tente de privilégier, quand c'est possible, des pistes de solutions amiables, en jouant un rôle notamment de facilitateur auprès des institutions bancaires. Ce type d'accompagnement demande de prendre en comptes les besoins des uns et des autres afin de parvenir à un accord « gagnant-gagnant », ce qui peut nécessiter du temps", estiment les intervenants de l'association belge.

 

Une porte de sortie

 

Du temps, il en a fallu à Christian pour sortir de la situation difficile dans laquelle il était plongé. "J'était en colère contre tout", se souvient l'agriculteur qui a été accompagné par Solidarité paysans et qui a témoigné à l'assemblée générale. "Quand le frigo est vide et que l'assistante sociale met en place une aide d'urgence, c'est que tout va mal. Après un nouveau problème de cellules sur mes vaches, je me suis engagé d'arrêter de traire, j'ai vendu mon troupeau à presque 58 ans, je n'avais plus le moral." Lorsque la MSA nomme un conciliateur avec obligation de mise en vente, l'agriculteur atteind le point le plus bas. "La solution je l'ai trouvée avec la Safer. J'ai vendu à la Safer qui me laisse terminer mon activité. Je suis uniquement en cultures. Aujourd'hui je n'ai plus de dettes." Les bénévoles de Solidarité paysans ont veillé à ce que l'agriculteur, célibatire et seul sur sa ferme, puisse remonter la pente et prenne ses décisions lui-même. "Il a retrouvé sa dignité", insiste Paul Menier, bénévole. "J'étais au fond du trou, aujourd'hui j'ai gagné en assurance, c'est incroyable", confirme Christian.

Pour John, jeune agriculteur en élevage lait à comté, la pilule fut amère. Après une installation rapide pour remplacer son père malade et des débuts prometteurs, il se retrouve dans une situation difficile : beaucoup de litrages pour peu de terrain et l'obligation d'acheter des fourrages. Un incendie des bâtiments lui porte un coup. "L'efficacité des pompiers qui ont sauvé les bêtes et la solidarité du village m'ont touché", raconte John. "Je me suis remis en question. J'étais jeune, c'était ma passion, je suis parti sur un projet de reconstruction en privilégiant le confort du bâtiment, la qualité du travail, l'implantation pas trop près du village. L'assurance n'a pas donné à hauteur de ce que j'espérais. Aux impayés vis à vis des constructeurs se sont greffés des problèmes de production, des difficultés pour faire les foins...A partir de là les dettes se sont accumulées...". Le jeune est lucide. Son banquier lui refuse un prêt de trésorerie. "Un bon conseil qu'il m'a donné pour ne pas m'enfoncer plus et il m'a proposé de contacter Solidarité paysans que je connaissais par mes parents." Il met en place un échéancier de remboursement avec ses créanciers avec lesquels il a toujours gardé le contact. Solidarité paysans renégocie avec la banque pour finaliser le remboursement des dettes. Aujourd'hui sa situation financière s'est améliorée. " John est remarquable par sa volonté de s'en sortir, il mesure bien ses capacités et il est à l'écoute", salue Colette Angonnet, bénévole.

 

 

Avaler un éléphant ?

 

Suppression des quotas, nouvelle PAC, volatilité des prix, manque de visibilité à long terme... Ces crises et deséquilibres successifs ont des conséquences pour les agriculteurs constamment obligés de s'adapter, de "rebondir". "Une forme de stress et d'épuisement peut apparaître. Et quand s'ajoute des problèmes de travail et de trésorerie, la situation peut paraître inextricable. Les questions surgissent. Qu'est-ce que je vais faire de ma vie ? Est-ce qu'il faut que j'avale un éléphant ? Non, il est possible de faire face et de rebondir. La solution doit émerger de la personne", encourage la psychologue d'Agricall.
Le travail psychologique et technico-économique va s'intéresser aux ressources externes et internes, en proposant à l'agriculteur plusieurs actions concrètes :
– faire un bilan économique pour être plus objectif sur la situation
– dégager des solutions techniques, de gestion, aller vers une procédure, organiser une rencontre familiale
– éventuellement se reconvertir ou arrêter son activité
– aider la personne à cheminer en se questionnant sur elle-même
– compter sur le collectif, demander de l'aide pour retrouver confiance
– s'investir dans une action militante,,etc
"Le rôle social d'Agricall Wallonie répond à une vraie nécessité", témoigne la psychologue de l'association belge.
Ce n'est pas autre chose que veut nous dire Marie-André Besson." La spécificité de l'accompagnement de l'association Solidarité paysans, par l'approche globale des situations dans la durée, nous situe comme un vecteur de cohésion sociale, un acteur économique, ainsi qu'un acteur de développement territorial", rappelle la présidente de Solidarité paysans Jura.

 
IP

 

En chiffres

72 familles ou personnes suivies en 2015
3 000 heures de bénévolat
58 adhérents
34 bénévoles dont 27 accompagnants
36 jardiniers aux Jardins du partage