Vins du Jura 2020 : des inégalités selon les marchés

VINICULTURE / L’année 2020 aura été particulière pour tout le monde. Les vins du Jura n’échappent pas à cette situation avec une année en dents de scie. Les salons annulés, la fermeture des restaurants et les deux confinements ont fortement pénalisé les viniculteurs mais la saison touristique estivale exceptionnelle a compensé grâce à la vente directe. Certains vignerons s’en sortent mieux que d’autres, en fonction de leurs débouchés. 

Vins du Jura 2020 : des inégalités selon les marchés

2020 : la fruitière vinicole d’Arbois encaisse le coup

À Arbois, la fruitière vinicole estime à 14 % la baisse de son chiffre d’affaires 2020 par rapport à 2019.La coopérative a pu encaisser le choc grâce à une trésorerie solide et une clientèle segmentée. Grande distribution et vente directe aux particuliers représentent à parts égales les deux tiers des 8 à 9000 hectolitres commercialisés annuellement. Le tiers restant est réparti entre les grossistes, les cavistes, les restaurants et l’exportation. Certains segments ont été beaucoup plus impactés que d’autres.

Comme beaucoup, la coopérative vinicole d’Arbois a suivi les consignes gouvernementales : elle s’est confinée en mars et a tourné au ralenti. Une partie des salariés a télétravaillé, d’autres étant placés au chômage partiel. Seules les activités en cave et dans les vignes, nécessaires, se sont poursuivies à un rythme habituel. Durant ces deux mois, les ventes ont diminué de 30 % par rapport à la même période les années précédentes.

« Nous avons pu en partie rattraper cette perte pendant l’été, grâce à l’affluence inédite dans le Jura, » explique le président Joël Morin. « Nous avons fait beaucoup plus de dégustations. » Les touristes, majoritairement français à cause des restrictions de voyage, avaient la culture du vin et ont plus dépensé. « Habituellement, ils repartent avec des valisettes, cette année, ils achetaient leur vin en carton. »

Autre débouché important, la vente en grande distribution et chez les cavistes, tous deux restés ouverts, n’a pas faibli. Pour la renforcer, la coopérative a renouvelé son offre en proposant des Bibs (Bag-in-box) de trois litres dans les rayons. 

Des exportations balbutiantes

La fruitière d’Arbois commercialise ses vins à l’exportation depuis peu. Les 80 000 cols vendus à l’étranger, principalement en Europe du Nord et en Asie, représentent un gros volume mais seulement 6 % du chiffre d’affaires. Le bilan est disparate selon les pays. La fruitière participe régulièrement à des événements d’envergure internationale comme le Salon de l’agriculture ou Wine Paris en France ou Prowein à Düsseldorf. Leur annulation en 2020 n’a pas permis de démarcher de nouveaux clients.  « Nous sommes partis de rien à l’export, nous ne pouvons que grandir, » résume le directeur Gabriel Dietrich.  « Notre croissance était de l’ordre de 30 % mais cette année les exportations ont été stables. Les ventes en Suède, en Norvège et au Japon ont bien tenu, l’Angleterre aussi a bien résisté jusque-là, même si le Brexit est un autre problème. Par contre, aucune exportation ne s’est faite vers la Russie cette année alors que nous en avions fait l’an passé. »

 

Joël Morin, le président de la fruitière vinicole d’Arbois et Gabriel Dietrich, le directeur, espèrent que l’économie repartira au deuxième trimestre 2021.

Quant à la restauration, que ce soit en vente directe ou par l’intermédiaire de grossistes, le secteur est sinistré. « Les ventes de vins se sont écroulées, mais c’est surtout pour eux que la perte est énorme avec l’arrêt total de leurs établissements presque la moitié de l’année, » compatit Joël Morin.

Des pertes compensées par la trésorerie

« Si l’été a permis de rattraper une partie du premier confinement, le second risque de nous pénaliser », poursuit le président de la fruitière. « Nous avons pris jusque-là sur notre trésorerie pour compenser la baisse du chiffre d’affaires et continuer à payer les sociétaires vignerons chaque mois. » Les viticulteurs restent inquiets pour l’année qui arrive. Ils espèrent et se tiennent prêts pour une reprise économique à partir du deuxième trimestre 2021. « La trésorerie de la coopérative peut nous permettre de mutualiser les pertes et d’absorber le choc encore quelques mois mais il ne faut pas que ça dure trop. La situation est plus compliquée pour les vignerons indépendants. »

Certains indépendants ont d’ailleurs demandé à intégrer la fruitière qui a la capacité de les accueillir s’ils respectent le cahier des charges et les chartes. Les adhésions ont une durée de cinq ans. « Chaque année, plusieurs vignerons nous quittent pour produire leur propre vin et avoir leur nom sur l’étiquette », explique Joël Morin. « D’autres les remplacent. Nous sommes souvent une rampe de décollage pour les jeunes qui démarrent. Nous gérons pour eux les côtés administratif et commercial, qui prennent beaucoup de temps aux indépendants. Nos sociétaires peuvent alors se consacrer à leur cœur de métier : la vigne et la cave. »

SC

Export et restaurants à l’arrêt : les vignerons trinquent

Export et restaurants à l’arrêt : les vignerons trinquent

 « Ce n'est pas brillant… Pendant le confinement, nous avons fait seulement 10 % du chiffre d'affaires que nous avions réalisé l’an dernier sur la même période », constate Paul Benoît, vigneron à Pupillin avec son fils Christophe.

40 % de leur chiffre d'affaires provient des restaurants, des salons et des réceptions de groupes au caveau, qui ont lieu principalement au printemps et à l'automne.

A la sortie du premier confinement, les mois de juillet à octobre ont vu revenir les clients. « Les ventes ont vraiment bien marché, cela nous a permis de tenir le coup au niveau trésorerie », estime Paul Benoît.

Le vigneron mise aussi sur la reprise de l’exportation qui représentait 20% de leur activité l’an dernier. Beaucoup de ventes à l’export ont été reportées pendant le confinement et la décision des États-Unis, cet été, de maintenir la surtaxe douanière contre les vins français n’a pas aidé. « Nous venons de reprendre contact avec nos importateurs américains et d’Ukraine qui devraient rapidement nous passer de nouvelles commandes. Cela donne un peu d'espoir pour l'avenir. »

Face à la crise sanitaire qui se prolonge, Paul Benoît s’interroge sur la reprise des ventes dans les restaurants. 

« J’espère que nous retrouverons du chiffre d’affaires, notamment à l’export, un débouché que nous développons depuis 5 ans grâce à un travail personnel et aux actions de l’interprofession qui nous ont permis de développer les ventes : les vins du Jura ont une belle côte à l’étranger ! »

Paul Benoît reste positif : « Il ne faut pas baisser les bras, en espérant que cela se termine très rapidement… »

 

Isabelle Renaut

Vente directe : des clients restés fidèles 

L’année a mal plutôt mal commencé pour Frederic Lambert, vigneron au Chateley. Le premier confinement a entraîné une chute importante de son chiffre d’affaires. Plus personne ne passait sur la route Dole-Lons au bord de laquelle est situé le domaine. Même s’il avait le droit d’ouvrir, le caveau était désert. Heureusement, l’été a permis de rattraper ces pertes.

« A la fin du mois d’août, nous étions revenus à l’équilibre, » explique-t-il. « Mais ce n’est pas arrivé tout seul, nous avons dépensé une énergie colossale pour activer les réseaux et aller au-devant des consommateurs. » Tous les anciens clients ont été contactés pour se voir offrir la livraison gratuite sur leurs commandes.

Nouveau métier : logisticien

« Le retour a été bon et les commandes nombreuses. Nous avons dû devenir logisticien pour organiser les livraisons puis acheminer les cartons de vins en camionnette. Nous sommes allés dans le sud de la France mais aussi en Belgique. En tout, nous avons parcouru presque 15 000 km. »

Jusqu’en 2018, Frédéric Lambert cultivait la vigne sur sept hectares, une surface relativement petite qui permet d’écouler la production en local. Depuis deux ans, il s’est un peu agrandi pour passer à onze hectares et développer de nouveaux circuits. Le vin est principalement commercialisé en vente directe, pour les particuliers et quelques supermarchés, sans passer par les centrales d’achat, et auprès de cavistes. A l’inverse de la restauration et de l’export, ces secteurs n’ont pas été trop touchés par la crise sanitaire.

SC