Sociologie
« Les femmes ont de plus en plus leur place »

Pour la directrice de recherche en sciences sociales et études sur le genre, Sabrina Dahache, la femme a de plus en plus sa place dans le monde agricole et la prend. Preuve en est, les étudiantes en formations agricoles sont plus nombreuses que leurs homologues masculins.

Place des femmes dans l'agriculture en 2020

Par le prisme des statistiques, il ne fait aucun doute : l’agriculture est un monde d’hommes. En effet, selon Agreste-Graphi’agri 2022, en 2020, les femmes représentaient moins d’un tiers des actifs permanents agricoles et des chefs d’exploitation, coexploitants ou associés (voir info­graphie). Toutefois, dans le document « Analyses et perspectives, économie agricole » consacré au recensement général agricole de 2020 publié par Chambres d’agriculture France en juillet 2022, les coauteurs Didier Caraes et Mathilde Vauthier dé­montrent que, s’il y a certes un léger recul du taux de féminisation des actifs non-salariés entre 2010 et 2020, « la mesure de l’activité des femmes dans les recensements agricoles fait souvent l’objet de réserves ». Notamment la sous-évaluation de la contribution des femmes dans l’activité agricole. « Elles fournissent une main-d’oeuvre d’appui invi­sible, ou leurs activités ne sont pas reconnues comme agricoles (accueil, tâches administratives, atelier de transformation à la ferme). » 

Valoriser sa profession 

« Quand il s’agit de parler de direction d’une exploi­tation agricole, l’imaginaire collectif coche également la case “ homme”. Au-delà de la question du genre, il existe une réelle méconnaissance de la profession », souligne la directrice de recherche en sciences sociales et études sur le genre, Sabrina Dahache. Selon cette dernière, l’image du métier d’agricul­teur demeure encore dans l’esprit populaire « ar­chaïque », même si les émissions de téléréalité ont un peu aidé à la dépoussiérer. « Pour beaucoup, il est encore difficile d’imaginer l’agriculteur comme un chef d’entreprise », ajoute la socio­logue. Beaucoup le perçoivent encore comme un métier rem­pli de virilité et de force phy­sique. Pourtant, il ne fait aucun doute pour la sociologue que les femmes sont aujourd’hui nombreuses à vouloir devenir agricultrices. Si la télévision apporte un nouvel éclairage, les agricultrices offrent égale­ment un nouveau visage de la profession en étant notamment très actives sur les réseaux sociaux. « Elles engagent un véritable travail de valorisation de leur métier qui est victime d’attaques perpétuelles. Elles montrent la réalité de leur profession. » Les femmes sont encore minoritaires à la tête des exploitations et peinent parfois à s’imposer comme telle, no­tamment lorsqu’il s’agit d’accéder au foncier. Mais selon Sabrina Dahache, la passion de l’agriculture est bien présente parmi la gent féminine. 

De plus en plus de filles sur les bancs des formations agricoles 

« Dans l’enseignement agricole, les filles sont plus nombreuses que les garçons », explique celle qui a consacré une thèse à ce sujet. Dans une inter­view publiée sur le site Internet du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marie Pannetier, char­gée de mission aides sociales, égalité et diversité à la direction générale de la recherche et de l’enseignement (DGER) du ministère affirme en effet qu’« en 1975, 20 % des étudiants de l’enseignement supérieur agricole long (études agronomiques, vétérinaires et de paysage) étaient des femmes. En 2020, elles représentent 62 % des effectifs ». Concernant l’enseigne­ment technique, près de la moitié des effectifs (48,6 %) était des filles en 2020. Et une fois leur diplôme en poche, souvent d’ingénieur, aux dires de la directrice de recherche, les jeunes femmes chaussent leurs bottes pour produire dans l’en­semble des filières agricoles. Bien que, d’après Sabrina Dahache, les filières végé­tales et l’élevage de petits animaux restent pré­pondérants. Selon Chambres d’agriculture France, Auvergne-Rhône-Alpes est la troisième région de France où les femmes sont les plus nombreuses à être installées en agriculture (647), derrière la Nouvelle Aquitaine (671) et l’Occitanie (782). Leur profil est tout aussi divers que leur statut. « Pour beaucoup d’entre elles, il s’agit d’une reconversion pro­fessionnelle sur des activités nouvelles. Les femmes apportent une dynamique professionnelle différente », conclut Sabrina Dahache. n

Marie-Cécile Seigle-Buyat

Des inégalités toujours importantes 

En 2020 et selon la MSA, les femmes représentaient 26 % de l’effectif des chefs d’exploitation. Elles n’étaient en revanche que 5 % à diri­ger des entreprises agricoles. Plus de 115 000 d’entre elles étaient employées en équivalents temps plein, soit 35,8 % des salariés du secteur. Un second rap­port de 2022 provenant du service de la statistique agricole Agreste a affirmé que les femmes étaient « majoritaire­ment plus diplômées que leurs homo­logues masculins, avec une formation générale supérieure pour 55 % d’entre elles, contre 27 % pour les agriculteurs en 2020 ». Pourtant, sur le marché du travail agricole, « les femmes ont des conditions d’emploi plus précaires que celles des hommes ». À titre d’exemple, la durée moyenne d’un contrat fémi­nin en CDD est inférieure de 10,6 % à celle d’un contrat masculin. En CDI, les femmes ont des temps de travail infé­rieurs de 13,9 % en moyenne à ceux des hommes. Enfin, elles sont proportion­nellement deux fois plus nombreuses à temps partiel que les hommes et leurs rémunérations horaires moyennes sont inférieures de 4,6 %. 

Moins rémunérée que les hommes 

Lors du Salon de l’agriculture, un rapport d’Oxfam nommé Agriculture : les inéga­lités sont dans le pré a illustré d’autres inégalités de genre dans le monde agri­cole. Selon ce dernier, « la rémunération des agricultrices est inférieure de 29 % à celle des agriculteurs, soit un quart de plus que dans les autres secteurs ». Des statis­tiques de la MSA montrent, qu’en 2020, la retraite moyenne des agricultrices était de 570 € mensuels et celle des agri­culteurs à 840 €, soit une différence de 32 %. À noter qu’en 2021, la loi dite « Chassaigne » a permis d’augmenter les plus petites pensions (conjoint.e.s et aides familiaux), dont la retraite avoi­sine les 600 €. La majorité des pensions concernées étaient celles des femmes. 

Freins à l’installation des agricultrices 

Davantage de femmes s’installent hors cadre familial. En 2017, le rapport d’in­formation du Sénat Femmes et agricul­ture : pour l’égalité dans les territoires mentionnait que « les prêts bancaires étaient plus modiques pour elles, que ceux qui sont consentis pour leurs homo­logues masculins ». À l’époque, ce rapport jugeait que « le recours à d’autres struc­tures financières (coopératives, abattoirs) augmentait leur taux d’endettement au démarrage de l’activité ». Les prêts ban­caires étaient également moins élevés chez les femmes que chez les hommes. 

Enfin, dans une étude sortie en 2022, le service de la statistique agricole Agreste estimait que les femmes « bénéficiaient proportionnellement moins de la dotation jeune agriculteur (DJA) ». En 2020, les femmes représentaient près de 40 % des personnes qui se sont installées en agriculture. Mais seulement 23 % d’entre elles ont effectivement bénéficié de la DJA. n 

Léa Rochon