La FNSEA en tournée dans le Jura

Entre la révision des zones vulnérables aux nitrates, l’épineux dossier des calamités sécheresse, l’harmonisation de la gestion des ressources en eau, les positions nationales sur la future PAC et le rapport d’orientation national sur le défi climatique, Patrick Benezit et Joël Limouzin, respectivement secrétaire général adjoint et vice-président de la FNSEA, n’étaient pas trop de deux pour entendre les revendications des responsables syndicaux de la région.

La FNSEA en tournée dans le Jura
De droite à gauche : Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA, Patrick Benezit, secrétaire général adjoint FNSEA, Christophe Chambon et Alex Sontag, président et directeurs FRSEA, Emmanuel Schouwey, Cédric Bongain et Christophe Buchet, président de la FDSEA du Jura.

Pour l’occasion, la FRSEA a proposé au département du Jura d’organiser la rencontre sur ses terres. C’est donc dans le Val d’Amour, sur l’exploitation d’Anthony Villet à Bans, qu’une délégation régionale a accueilli les deux responsables nationaux mardi dernier. Malgré la frustration de ne pas pouvoir ouvrir les échanges aux agriculteurs locaux à cause des restrictions sanitaires, les administrateurs nationaux ont souhaité prendre le pouls des paysans de la région directement sur une exploitation de polycultures-élevage. « Le Jura est souvent associé à la montbéliarde et au comté, mais il n’y a pas que cela avec comme ici des charolaises et des cultures diversifiées sur des zones intermédiaires avec des potentiels limités qu’il ne faut pas oublier » introduit le président de la FDSEA du Jura, Christophe Buchet.

Couper les pattes des têtes de bassin

Rapidement, il enchaîne en présentant la situation de la région concernant l’extension des zones vulnérables. « La Bourgogne Franche-Comté est la région la plus touchée de France par cette nouvelle révision avec plus de 900 communes qui s’ajouteraient au zonage existant. Notre région a la particularité d’être tête de trois bassins différents. Nous avons syndicalement, en lien avec nos chambres, mis en avant l’effet sécheresse sur ces résultats. La DREAL nous répond, oui il y a un impact climatique dans la minéralisation des nitrates mais on ne peut pas le prouver donc on classe quand même. Ils sont incapables de nous écouter » récuse-t-il. Pour la Côte d’Or, son nouveau président Fabrice Genin appui ces propos « nous sommes face à une incohérence totale puisque si les nitrates se concentrent, c’est simplement parce qu’il n’y a pas d’eau. Il faut que la FNSEA nous soutienne. » Même son de cloche en Saône et Loire où le secteur du charolais, 100% en herbe avec une baisse du chargement en animaux, voit 250 communes entrer dans le zonage alors que les pratiques agricoles ne peuvent pas être la cause de ces points de concentration. « C’est l’effet chasse d’eau avec une minéralisation et au final c’est la double peine » résume le président de la chambre du Jura François Lavrut. Enfin, Damien Brayotel termine ce tour de table sur le sujet en exprimant sa crainte de voir l’élevage disparaître dans les zones de l’Yonne où il sera possible de produire des céréales. En conclusion, le Président de la FRSEA Christophe Chambon demande aux responsables nationaux, attentifs à toutes ces remarques, un soutien politique pour infléchir les positions de la DREAL. Une demande entendue par Patrick Benezit et Joël Limouzin. Pour ce dernier, l’argument du changement climatique est fondamental et la méthode actuelle de classement en zones vulnérables n’est pas tenable au risque de voir comme dans l’Ouest de la France il y a 25 ans, le classement de la totalité des têtes de bassins, avec des contraintes supplémentaires dont les plans d’actions ne cesseront de se renforcer.

L’eau devient un enjeu primordial

Le sujet de l’eau et de sa pénurie revient comme une problématique préoccupante dans notre région depuis 5 ans alors qu’elle était plutôt préservée d’aléas récurrents par le passé. D’autres régions de France, comme la Vendée dont est originaire Joël Limouzin, ont depuis longtemps développé des réserves de substitution pour stocker l’eau. Ces projets ont vu le jour car ces réserves ont permis d’une part de sécuriser la production agricole par l’irrigation et d’autre part de maintenir la biodiversité des marais poitevin. Des projets de création de réserves existent près de nous notamment en Côte d’Or mais ils ne seront, semble-t-il, pas prioritaires au niveau financier d’après Fabrice Faivre. Pire, la profession se bat contre la volonté de la DREAL d’imposer un projet d’harmonisation de la gestion de la ressource en eau à travers un arrêté cadre interdépartemental impactant l’irrigation de manière conséquente. Emmanuel Schouwey, qui suit le dossier irrigation depuis longtemps dans le Jura témoigne de la situation. « Leur objectif est de baisser les volumes, quels que soient les niveaux de nappes sans distinction selon les territoires de la région qui sont pourtant bien différents. On doit remettre du scientifique dans tout cela. Sur le Val d’amour par exemple, nous avons à quelques mètres sous nos pieds une nappe qui ne bouge pratiquement pas et qui est rechargée à 100% tous les ans. Nous avons fait le choix de gérer collectivement les volumes et nos organisations économiques développent différentes productions notamment de semences pour créer de la valeur ajoutée mais aussi apporter des alternatives à l’usage des phytos par exemple grâce à la génétique. L’irrigation va dans le sens de l’environnement » conclut le vice-président de la coopérative Interval.

Patrick Benezit constate à travers ces différents propos un décalage entre les ouvertures affichées au niveau national par le ministère de l’Agriculture et l’administration qui gère le sujet au niveau régional. La FNSEA devra sur ce sujet être un porte-voix puissant pour que les discours du ministre de l’Agriculture portent jusque dans les administrations relevant du ministère de la transition écologique.

Les calamités mettent le feu

Autre inquiétude, et non des moindres, le dossier des calamités. La plupart des départements de la région ont monté un dossier argumenté en lien avec les DDT mais la commission nationale qui devait examiner les dossiers la semaine dernière a reporté son jugement au 18 février prochain. Si ce report a lieu, c’est le résultat d’un blocage de la FNSEA en lien avec les organisations agricoles siégeant à cette commission dont les assureurs. Peu avant la commission, elle a eu écho du probable refus de reconnaissance des calamités agricoles. « D’après le règlement, les calamités agricoles ont pour objet de répondre aux aléas ponctuels et non structurels. Le problème, c’est que la sécheresse vous impacte depuis plusieurs années » détaille Joël Limouzin. Dans la Nièvre et la Saône et Loire, la nouvelle a mis le feu à la campagne et une manifestation est prévue pour la fin de semaine. « C’est la plus grosse sécheresse depuis 5 ans et les éleveurs risquent de ne rien avoir » insiste le secrétaire général de la Nièvre, Romaric Gobillot. Certains jeunes agriculteurs n’ont pas les moyens de racheter des fourrages. On est en train de kidnapper leur trésorerie et il y a un fort risque de décapitalisation à la sortie d’hiver. Christian Bajard complète pour le bassin charolais : « quand vous avez depuis 5 ans une sécheresse, que le prix de la paille prend entre 40% et 60% et que dans le même temps ils changent la méthode de calcul d’une année sur l’autre sans tenir compte du travail réalisé par la commission départementale, quel mépris du ministère pour les zones d’élevage. » Pour la FDSEA de Haute-Saône, d’un côté les services fiscaux reconnaissent l’impact en exonérant partiellement la TFNB et de l’autre côté le fonds des calamités ne reconnaît pas l’aléa climatique. Les paysans ont tout simplement l’impression qu’ils cherchent tous les moyens de ne pas verser d’argent. Les responsables de la FNSEA conviennent de l’absurdité de la situation et se battront pour faire valoir la véracité des analyses départementales mais admettent que le combat sera difficile à mener.

BFC défend sa vision de la PAC

Enfin, pour terminer cette tournée régionale, les arbitrages sur la PAC ont fait l’objet de longs échanges durant l’après-midi. La semaine passée, la FNSEA a pris des positions sur la répartition des aides pour la future PAC qui entrera en vigueur en 2022 ou 2023. Les responsables nationaux ont rappelé que l’exercice est toujours compliqué car chercher un consensus fait souvent des mécontents. Cependant, il paraissait important pour la FNSEA de prendre position avant le ministre bien que ce ne soit que le premier round de négociations où naturellement chaque région et chaque production joueront comme d’habitude leur propre partie. Dans ce premier acte, notre région a porté une proposition équilibrée permettant de maintenir les ICHN, d’accompagner les zones intermédiaires, de maintenir des aides couplées animales, de valoriser l’existant dans les echo-schemes et d’être prudent sur les programmes opérationnels. Une proposition qualifiée de grande qualité et équilibrée par Patrick Benezit qui vient d’une terre d’élevage, le Cantal. Mais ce n’est pas tout à fait l’orientation prise au niveau national pour l’instant, suscitant des irritations au moment de rentrer dans le vif du sujet. Fabrice Genin a le sentiment que les régions qui bénéficient d’aides historiques ne veulent pas les lâcher et que malheureusement tout ne peut pas venir des égalim, prenant en exemple la filière de la moutarde dijonnaise en concurrence avec le Canada et des prix deux fois moins chers. Christian Bajard fait lui aussi part de son amertume entre des soutiens du premier pilier orienté vers les productions végétales historiques et les filières organisées au détriment des productions animales qui elles aussi sont confrontées au marché mondial. De son côté, le président de la FDSEA du Doubs, Philippe Monnet, essaie de prendre de la hauteur au débat en insistant sur la nécessité d’orienter les aides PAC pour créer des filières organisées et sur du long terme ramener de la rémunération sur toutes les productions. Les programmes opérationnels peuvent être un moyen d’y parvenir à condition de disposer d’un arsenal juridique suffisant sur la répartition de la valeur. Des propos dont les responsables nationaux ont pris note avant de participer au bureau de la FNSEA dès le lendemain.

Au moment de conclure la journée, Christophe Chambon regrette que la crise sanitaire n’ait pas facilité les temps d’échanges entre tous les départements au niveau national et pas seulement au sein du conseil d’administration de la FNSEA. Le président de la FRSEA garde un goût d’inachevé mais insiste une dernière fois, avec l’esprit combatif qu’on lui connaît, auprès des hôtes du jour, « je retiens que notre proposition sur la PAC était la plus équilibrée puisque personne ne peut être contre, il n’est pas trop tard pour la valider. » A bon entendeur.

PE Brunet