PILLEMOINE
Il fut « le cri » de Jean Ferrat

Poète, professeur et grand pourfendeur des pouvoirs établis devant l'Eternel : comment définir celui qui bannissait les étiquettes et honnissait les injustices ? Retour sur la vie de Guy Thomas, qui fût parolier de Jean Ferrat, mais bien plus encore...
Il fut « le cri » de Jean Ferrat

Si vous passez à Pillemoine, commune de 58 âmes située entre Champagnole et Saint-Laurent-en Grandvaux, rapprochez-vous de la fontaine et tendez l'oreille. Peut-être vous murmurera-t-elle quelques paroles de "Je ne suis qu'un cri" ou "Les cerisiers" ou "Le bruit des bottes" ? Des 'tubes' chantés par l'illustre Jean Ferrat sur des paroles de Guy Thomas, non moins illustre habitant de Pillemoine depuis 34 ans. Moins d'un mois après le décès de l'homme de lettres (survenu le 19 janvier 2020), la commune lui a rendu hommage en donnant son nom à la fontaine restaurée. Une belle occasion de revenir sur la vie de celui qui fût tout, et qui ne fût rien à la manière d'un Cyrano de Bergerac. Car il y avait du mousquetaire dans l'âme de cet « anar » patenté, un mousquetaire pourfendant par monts et par vaux, et jusqu'à son dernier souffle la « connerie humaine » sous toutes ses formes. Une « connerie » rencontrée dans sa plus tendre enfance dans l'institution religieuse où il fut placé...

 

Les 'Goualantes du Pierrot bossu qui n'y voit que d'un œil'


Une institution si stricte et si intégriste qu'elle fît de lui un homme à tout jamais libre, et bien décidé à la partager avec ses contemporains. Libre de cracher à la face du monde sa colère lorsqu'une injustice le révoltait, libre de piétiner les idées reçues et les privilèges, libre aussi de défendre les petites gens face aux pouvoirs établis. Curieuse ironie du destin, et curieux personnage... Décrit par ses proches comme « un taiseux, un timide », ses écrits parlaient pour lui : Le Bruit des bottes, Le Singe, Berceuse pour un petit Loupiot, Le chef de gare est amoureux, Voyez comme on danse, Les Aventures du poète Gugusse, Goualantes du Pierrot bossu qui n'y voit que d'un œil, etc. Et pour finir, un ultime poème dédié à son cher village de Pillemoine, où il aimait se promener ou partager de bons repas entre amis. Un poème où il s'insurgeait encore à 86 ans contre des lois iniques sacrifiant les petites communes et la ruralité sur l'autel de la technocratie. Repose en paix Guy Thomas. Ta fontaine parle désormais pour toi...

 

 

Truculentes confidences

 
 
« Un chevalier armé d’une plume bien aiguisée »
Pierre Duc, ex-professeur de dessin à Champagnole a bien connu son collègue et ami Guy Thomas : dès l’année 1969, tous deux enseignent au LEP de Champagnole. Alors une ‘voie de garage’ pour des « gamins cabossés par la vie… devenus pour certains professeurs, ingénieurs, chefs d’entreprises » selon Pierre Duc. Comme dans le ‘Cercle des poètes disparus’, un professeur hors-norme leur a ouvert le cœur et l’esprit… comme dans son poème ‘La leçon buissonnière’ : « C'est au numéro trente-deux de l'avenue de la République que j'enseigne aux petits merdeux les théories philosophiques ».
Le ton était donné : fondateur et rédacteur en chef de « La marmite », la gazette du collège, il incita ses élèves à la faire férocement bouillonner, avec un zeste d’illustrations réalisées par les disciples de Pierre Duc. « Ses élèves lui vouaient une admiration sans limite, il a semé bien des graines » se souvient ce dernier, à une époque où « soufflait un vent de liberté et de création ». Le Luron, Desproges, Coluche… une grande famille dont « Guy Thomas, chevalier armé d’une plume bien aiguisée, faisait partie », une famille aujourd’hui disparue…
 
« Il est mort le poing levé »
Bon pied, bon œil, Monique Thomas, 77 ans, n’a rien oublié des 40 années passées aux côtés de celui qui fût son alpha et son omega. 40 années d’amour fusionnel « avec un grand A » pour un poète « avec un grand P ».
Elle partage ses doutes, ses « Ca ne vaut rien » ou ses exultations : « Ca va faire un de ces baroufs ! », tandis qu’il compose en tapotant en rythme sur son bureau. « A quoi cela te fait-il penser ? Une valse, un tango ? » demande-t-il à sa moitié, sensible à « la petite musique » de ses vers. Une musique chantée par Jean Ferrat, l’ami de toujours. Entre l’amoureux des châtaigniers dans son village d’Antraigues (Ardèche), et l’amoureux des sapins jurassiens, le courant passe et repasse. Et s’unit dans un album mythique, « Je ne suis qu’un cri », sacré deux fois disque d'or et disque de platine en quelques jours.
 
Un professeur ‘sauvé’ par un professeur
Né en 1934 en Belgique d’un père joueur d’échecs et éternel absent, et d’une mère souffreteuse, le petit Guy Thomas n’a connu aucune fée penchée sur son berceau, ni durant la grande guerre qui suit… Jusqu’à une rencontre qui changea le cours de son existence au lycée Carnot de Dijon : M. Grand, professeur de lettres de son état, l’éleva vers sa destinée.
Ayant vite repéré les aptitudes littéraires du loupiot, il l’encourage à publier ses poèmes, qu’il dissimulait auparavant sous sa blouse de pénitent endossée ‘chez les curés’. Ce sera le début d’un long chemin pavé de récompenses : l’école normale à Paris, l’arrivée à Champagnole dans les années 60.
Puis les critiques des plus grands (Jean D’Ormesson, Jean Rostand, Léo Ferré...) à propos de ses vers :
-          « Des bouquets de roses sauvages, heureusement vêtues de ronces viriles » (Léo Ferré).
-          « Cela sautille comme une java, ça claquette comme une danse macabre, ça saigne…/…; ça mord ; ça crache et ça profane ; ça s’attendrit aussi, pas souvent. Un anar sincère » (Cavanna).
-          « Le plasticage joyeux de la connerie tous azimuts. Ce n’est pas méchant. C’est carrément féroce » (Les Dépêches).
-          « Des mots tranchants comme des lames, qui ne nous parlent pas de clair de lune, mais de liberté » (Ouest France).