DOLE WEEK-END GOURMAND
Réenchanter son alimentation

L'alimentation de proximité est un sujet qui interpelle de plus en plus. La parole a été donnée aux spécialistes, lors du colloque d'ouverture du week-end gourmand du Chat perché à Dole. Un jeu de questions-réponses animé par Jean-Charles Catteau. Extraits.
Réenchanter son alimentation

Comment expliquer le succès de l'alimentation de proximité ?

Jean-Charles Catteau :«Tout d'abord, une définition. L' alimentation de proximité, ce dont on parle ici, s'entend au sens géographique, local. Les circuits courts font appel à une autre notion : il s'agit dans ce cas de diminuer les intermédiaires entre consommateurs et producteurs, mais le produit peut venir de loin.»


Matthieu Duboys De Labarre : «L'industralisation de l'alimentation et les modes de commercialisation ont créé une distance entre le producteur et le consommateur. On parle de "désenchantement culinaire" auquel le mangeur veut s'opposer en redonnant un sens à son alimentation, en construisant une proximité avec le producteur. Il s'agit alors de réenchanter son alimentation»


David Burgy : «L'entreprise Chazal a la volonté de fabriquer des produits de terroir avec un bon niveau qualitatif. A chaque crise, nous avons gardé le cap de la qualité et notre activité n'a pas diminué. Les Français recherchent des plaisirs simples, la gastronomie en fait partie.»

 

Manger local n'est-ce pas un peu élitiste ?

 

Matthieu Duboys De Labarre : «Si l'on regarde les formes innovantes de commercialisation comme la Ruche qui dit oui, les Amap, etc, cela touche au capital culturel plus qu'au capital économique. S'intéresser à l'environnement, à la solidarité, à des préoccupations locales et éthiques, permet de s'inscrire dans un groupe social distinct, de se distinguer d'un autre groupe. Il faut effectivement faire attention qu'il ne se crée pas une rupture et que certaines populations n'aient pas accès à cette alimentation de proximité. Se mettre dans un nouveau rapport à l'alimentation, localement, a aussi d'autres effets positifs : un intérêt économique (maintien d'un abattoir de proximité par exemple), et de politique publique par une animation du territoire. A partir d'un thème qui nous intéresse tous, l'alimentation, tout en restant ouvert aux marchés extérieurs, sans se refermer sur soi, il est possible de réunir producteur, artisans, conommateurs pour réfléchir collectivement. Se reconnecter pour expérimenter une forme de démocratie... alimentaire

 

Peut-on dresser un portrait robot de l'acheteur type ?

 

Marc David Choukroun : "Il est moins question de richesse économique que de richesse culturelle, d'une certaine philosophie partagée. A l'image du réseau La Ruche qui dit oui et qui s'implante un peu partout en France. Une offre qui touche encore une minorité de la population. Mais que penser de l'offre de produits locaux dans les supermarchés, alors que ce concept n'est pas rentable dans leurs linéares, et qu'un tiers des f ruits et légumes y sont jetés. Il s'agit plutôt, pour eux, d'un effet de mode. La question de la mise en marché est importante. Les circuits courts et l'alimentation de proximité pourraient s'inspirer de la grande distribution sur certains aspects, comme essayer d'être plus pratique et moins cher, grâce à un apport de technologie pour compresser les coûts logistiques par exemple."

 

Et la question du prix ?

 

Marcdavid Choukroun : «Les produits bruts ou très légèrement transformés sont abordables en vente directe et généralement compétitifs par rapport à la grande distribution. Les produits artisanaux, transformés, sont plus chers. Nous avons plus de mal à les vendre.»


Matthieu Duboys De Labarre : «Le mangeur cultive une certaine ambivalence. Il veut du diététique, de l'éthique, du fonctionnel et en même temps il est à l'affut du premier prix et veut une pomme sans tâche qui se conserve...»


David Burgy : «Je ne pense pas que se replier sur soi-même soit le meilleur moyen pour l'agriculteur et le transformateur de gagner leur vie. Nous devons continuer à promouvoir nos produits au-delà du local. Il ne s'est jamais autant produit de Comté et il n'a jamais été aussi bon car la filière s'est fixé un cahier des charges pour hausser la qualité.»

 

"Bien manger", qu'est-ce que cela veut dire ?

 

Laurent Brondel : «Même lorsqu'on a plus faim, la variété est intéressante. Une bonne choucroute ne nous empêche pas de prendre fromage et dessert. C'est un mécanisme ancestrale que l'on appelle le rassasiement sensoriel spécifique et qui nous a poussé à varier notre alimentation. L'industriel a compris que pour vendre, il devait proposer une diversité d'aliments. Nous sommes victimes de ce qui est confortable, de cette alimentation variée. Aujourd'hui, une prise de conscience s'opère. Faut-il manger de l'ananas toute l'année ? Au plan écologique n'est-ce pas délirant ?
Je ne sais pas ce que veut dire "bien manger". Ne nous trompons pas de débat. L'alimentation de proximité n'est pas meilleure nutritivement s'entend. Nous n'avons jamais aussi bien mangé. L'enjeu pour le consommateur de produits locaux est autre : soutenir un savoir-faire à côté de chez soi, refuser d'être victime de gros groupes industriels, manger intelligent... La notion de plaisir est aussi essentiel. Cela me fait plaisir de manger un produit qui a été cultivé localement, de le cuisiner pour mes amis le week-end, de leur expliquer sa provenance. En conclusion, mangez ce qui vous fait plaisir, de manière variée, en quantité raisonnable.»

 

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