Arnaud Rousseau, premier vice-président FNSEA
Il faut ré-armer l’agriculture européenne !

Propos recueilli par Cédric MICHELIN
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Le 25 mars prochain à Charolles, l’assemblée générale de la FDSEA de Saône-et-Loire aura une actualité chargée à traiter : loup, ZNT, ÉGAlim 2, contractualisation… L’occasion de prendre de la hauteur avec Arnaud Rousseau, vice-président de la FNSEA qui reviendra sur la Pac et le plan de « résilience » face aux hausses des charges.

Il faut ré-armer l’agriculture européenne !

Grand témoin de l’assemblée générale de la FDSEA (lire encadré), Arnaud Rousseau est le premier vice-président de la FNSEA. Ce céréalier de Seine-et-Marne est également président du groupe Avril depuis 2017, date à laquelle il avait succédé à Xavier Beulin, l’ex-président de la FNSEA décédé brutalement. Arnaud Rousseau préside aussi la FOP, la Fédération française des producteurs d’oléagineux et protéagineux. Il nous a accordé une interview le 9 mars à la sortie d’une nouvelle réunion au plus haut sommet de l’État pour construire le « plan de résilience » agricole, à la suite de la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie.

Taxes Trump, Brexit, Covid, reprise de l’inflation et maintenant guerre russo-ukrainienne avec de nombreuses sanctions et contre-sanctions, quelles sont les dernières propositions pour soutenir les agriculteurs, une fois encore en première ligne ?
Arnaud Rousseau : Malheureusement, la guerre est de retour en Europe. Nous sommes dans une période d’incertitude et de sidération. On mesure mieux ce que veut dire la paix et on se rend compte que l’Europe, si souvent décriée, a du sens dans ce contexte. La première politique européenne est la Pac car l’agriculture a toujours contribué à rapprocher les peuples. Reste qu’il n’y a pas de souveraineté européenne car il n’y a pas d’identité européenne mais seulement des États membres. Il aura fallu attendre pour qu’à nouveau, on se rende compte que se nourrir est un acte de souveraineté. Ce matin, nous étions avec les instances politiques pour faire le constat qu’on entre dans une zone de fortes turbulences.
Pour les Français, il y aura des produits dans les étals, qu’ils se rassurent. Mais les Français vont retrouver le vrai prix de l’alimentation. On va avoir une hausse des prix sans précédent. Et j’espère que nos concitoyens prendront conscience et retrouveront une proximité avec nous qui produisons la nourriture.

La France a connu le mouvement des Gilets Jaunes opposant « fin du mois et fin du monde », est-ce que l’on va vers la « faim du monde », notamment avec les orientations européennes du Green Deal, Pac, Farm to Fork… et avec le changement climatique ?
A.R. : Il faut rester équilibré. Le Green Deal pose la question aux Européens de la lutte contre le changement climatique et contre l’effondrement de la biodiversité, des questions qui restent posées et la guerre n’y change rien.
Si on partage l’objectif d’une planète "durable", en revanche, non sur le mode opératoire européens passant par une part de décroissance. Pour le coup, un frémissement est en train de s’opérer. Car les flux de la mondialisation sont et vont se fermer pour certains. Avoir fait le choix de désarmer la production agricole était une erreur. Il faut ré-armer l’agriculture européenne !
Attention, sous couvert d’agacement d’une écologie politique décorrélée des réalités des territoires ruraux, le monde agricole ne doit toutefois pas mettre de côté les grands sujets environnementaux alors que l’agriculture est une solution aux problèmes. La FNSEA veut à la fois nourrir les Hommes, produire de l’énergie mais aussi prendre part à la transition des modes de vie. D’ailleurs, le gouvernement s’aperçoit que notre discours, loin d’un discours conservateur, est un discours de bon sens.

Vous avez participé à l’élaboration des propositions françaises pour la réforme de la Pac 2023-2030, identifiez-vous des concurrents à la ferme France aujourd’hui avec les Plans stratégiques (PSN) de chaque pays ?
A.R. : Oui et non. Non car tous les PSN n’ont pas encore été déposés à Bruxelles. Non, car les PSN offrent une grande flexibilité. Mais en effet, il pourrait y avoir des choix radicaux d’États membres. On voit des pays avec beaucoup plus d’idéologies, notamment l’Allemagne qui prend des virages sur l’énergie, l’armement…
Le PSN français est assez en prise avec la réalité des exploitations agricoles françaises, quels que soient son territoire et sa production. Il faut raison garder : les Français sont attachés à leur modèle social et il nous faut de la lucidité sur les changements radicaux qui vont s’imposer à nous.
Même si l’on sait que des distorsions de concurrences continuent d’exister entre pays européens, que ce soit sur le coût du travail, sur les normes, sur l’utilisation des matières actives, sur les facteurs de production… les PSN n’ont rien changé.

Vous présidez le groupe Avril, pensez-vous que les marchés - céréaliers, protéagineux, oléagineux, engrais… - ont atteint leurs sommets ?
A.R. : Il y a d’abord eu une très forte augmentation sur la campagne en cours, l’ancienne, pour la simple raison qu’il n’y a quasiment plus de graines dans les exploitations agricoles, et peu chez les organismes stockeurs. Une envolée des cours déjà constatée donc avant la crise ukrainienne. C’était aussi le fruit d’une récolte faible de colza au Canada, gros faiseur de canola.
Avec le conflit en Ukraine, gros faiseur de tournesol, il y a maintenant une forte pression sur la nouvelle récolte. On a eu une hausse importante mais qui n’est pas de même nature. Ni en Ukraine ni en Europe continentale, le tournesol n’est encore implanté.
Dans tous les cas, il n’y a aucune raison que les marchés baissent. En revanche, ce qui est sûr, c’est que l’Europe importait 80 % de ses tourteaux de tournesol de Russie ou d’Ukraine, donc on a un gros sujet. Notamment dans les élevages, à segmentation non-OGM par exemple, on va avoir des vrais problèmes de sourcing. J’espère que les paysans français vont semer un maximum de tournesol pour faire comme l’an dernier, une grosse récolte. Mais soyons clairs, on ne comblera pas le manque.

En Bourgogne, les surfaces de colza chutent, faute de moyens de lutte contre les ravageurs. Y a-t-il des pistes côté recherche ou un revirement côté réglementation, sur l’interdiction du phosmet ?
A.R. : À courts termes, le ministre avait annoncé 2,5 M€ pour rechercher un remplaçant au phosmet, indisponible au 1er novembre. À la FNSEA, on a œuvré pour obtenir une dérogation sur une matière active mais qui n’a de toute façon pas la même efficacité. Voilà pourquoi il ne faut pas nous interdire des solutions. Rien ne sert de semer pour voir les altises en faire leur casse-croûte… Dans une région comme la Bourgogne, ne pas faire du colza à 700 € est toujours un crève-cœur.

Quelles conséquences ses hausses des cours auront-elles pour les élevages ?
A.R. : Pour les viandes blanches en premier, il faudra des mesures compensatoires. On attend le plan de « résilience » français mais nous avons porté, avec la FNSEA, la nécessité de mesures d’accompagnement de l’élevage car sinon, il disparaîtra : clair et net. Je pense aux volailles avec des éleveurs qui ont subi, non seulement la hausse des cours avec des prix de l’aliment catastrophique et en plus, ont vu leur cheptel décimer par l’épizootie de grippe aviaire. En Vendée, Maine-et-Loire et Pays-de-Loire, ce sont près de 2,5 millions de volailles abattues, c’est colossal. Rajoutée, la difficulté à répercuter du prix malgré la mise en place des ÉGAlim. Les hausses passées sont les hausses Covid mais la hausse "Ukraine", il faut se dépêcher de la passer car sinon, il n’y aura pas de poulets français en RHF dans six mois.

Les négociations commerciales se sont closes au Salon, faut-il déjà les rouvrir ?
A.R. : L’article 7 des EGA prévoit qu’une hausse soudaine des charges offre la possibilité de revoir le tarif négocié. Donc si l’article 7 ne marche pas lorsqu’il y a un conflit armé en Europe, on ne sait pas quand il marchera alors.

Avant la contractualisation aval, il y a la contractualisation amont. Est-ce possible de contractualiser entre éleveur-céréalier en ce moment ?
A.R. : C’est un sujet de long termes. Le sujet revient sur la table quand les aliments sont à des prix élevés mais je n’entends pas de telles demandes lorsque la tonne de blé vaut 150 €. Ce qui me laisse à penser que ce n’est pas mature dans la tête de tout le monde. Il faudrait pourtant apprivoiser ce système sur 10-15 % des volumes déjà pour voir. Car en élevages comme en cultures, la volatilité n’est jamais bonne.

Le dernier recensement agricole a déploré la perte de 100.000 agriculteurs en dix ans. Le non-renouvellement des générations est la crainte de beaucoup d’actifs, notamment en élevage. Pourtant, l’installation reste dynamique. Que cachent ces chiffres et quelles interprétations en faites-vous ?
A.R. : Le constat de -100.000 paysans veut dire qu’on continue de voir une concentration des exploitations. Mais aujourd’hui, ce qui compte, ce n’est pas la taille de l’exploitation mais sa valeur ajoutée : valeurs créées dans l’entreprise, valeurs créées dans la filière alimentaire et valeurs acceptées d’être payé par le consommateur.

La catégorie Agriculteur a disparu des sondages. Ne craignez-vous pas une invisibilisation du métier dans les politiques publiques ?
A.R. : J’ai la faiblesse de penser que le poids politique des agriculteurs est plus important que leur nombre, d’abord parce qu’ils sont des acteurs majeurs de la ruralité, que ce soit leur rôle dans les collectivités, les mairies… ou encore dans la structuration des filières : au sein des coopératives locales, dans les OPA, le mutualisme… Maintenant, ce qui comptera, c’est le degré d’engagement des paysans : syndical, politique, associatif. Bien que seul dans sa ferme, on sait qu’on doit notre force au collectif.

Est-ce la trame et les objectifs du plan FNSEA 2025 ?
A.R. : Le projet vient du constat d’un changement sociologique avec des jeunes agriculteurs, peut-être, un peu moins engagés. Le collectif a pourtant du sens avec la force du réseau, la capacité d’échanger sur des projets collectifs…
Derrière, on ouvre des chantiers dont celui de l’adhésion syndicale. On sait que les Communautés de communes et les Régions ont les compétences agricoles mais que l’adhésion est à l’échelle de la commune. Donc, en fonction du sujet, est-ce qu’on accepte de ne pas avoir la même granulométrie. Un adhérent qui n’est jamais visité et qui reçoit sa cotisation par courrier, un jour, c’est un adhérent qui ne cotise plus. Partout où des gens se sont relevés les manches pour faire la tournée des popotes, il y a eu du résultat. Comme quoi, le syndicalisme est encore une question d’Hommes et de Femmes.