Employé à la CA25 juste après les épisodes de mortalité piscicole dans la Loue, dans un contexte de forte mobilisation des associations de défense de l'environnement, Didier Tourenne a acquis une expertise approfondie sur le sujet des effluents d'élevage. « Nous sommes aujourd’hui dans un contexte de surveillance généralisée… tout le monde a un smartphone et surveille les agriculteurs, pas seulement la police de l’eau et les services de l’Etat ! », a-t-il introduit, exemples à l’appui, avec des photos envoyées à la CA25-90 par de « simples citoyens » qui ont immortalisé des épandages sur neige, des vidanges de cuves dans des fossés ou cours d’eau, des tas de fumiers attendant la décrue dans des prairies inondées… « Ces pressions nous obligent à être attentifs à nos pratiques. » Bien que les élevages porcins du massif jurassien ne représentent qu'une faible proportion de l'azote et du phosphore épandu sur les parcelles agricoles, ils sont donc sur la sellette. Des essais locaux démontrent néanmoins que cet effluent a un effet positif sur les populations de lombrics, contrairement à l'azote minéral…
Des contraintes renforcées
Sur le plan réglementaire, les contraintes se sont renforcées (alignement par le préfet du Doubs, par exemple, du règlement sanitaire départemental sur la législation des installations classées pour les élevages porcins au-delà de 2 000 places de porcs charcutiers ou 750 truies), et pas seulement sur le calendrier d’épandage. D’autres sujets avancent avec l’Europe, tels les rejets d’ammoniac dans l’air (gaz volatil responsable d’irritations des voies respiratoires et d’acidification du milieu, dont 95% est d’origine agricole). « La loi PREPA est en cours d’élaboration d’ici fin 2024, et va déboucher sur la restriction des matériels d’épandage autorisés. Et tout une cohorte de mesures concernant alimentation, logement, collecte, stockage et épandage des effluents. »
Les fromages d’appellation tiennent à leur image
« Les cahiers de charges des fromages d’appellation évoluent aussi : ils prévoient de limiter la fertilisation minérale azotée de 50 à 40 U/ha et de plafonner à 120 kg tous les apports d’azote, dont les formes organiques. » Ainsi que de rendre obligatoire une analyse d’effluents tous les trois ans (éventuellement tous les cinq ans, le sujet est en cours de discussion), sans oublier d’interdire l’épandage sur sol enneigé (déjà une contrainte réglementaire, mais cette fois avec le risque d’une suspension de collecte beaucoup plus douloureuse que l’amende administrative). Enfin le seuil des 200°C-jours serait rendu obligatoire avant épandage sur prairie, avec des répercussions sur les capacités de stockage des élevages porcins. Toujours en éléments de contexte, Didier Tourenne a aussi évoqué le renforcement récent de la directive nitrate, avec davantage de communes concernées dans la région, ce qui se traduit par des capacités de stockage renforcées de 4 à 6 mois, davantage de contraintes en matière de dates d’épandage…
Fin des dérogations pour cause de force majeure
« Il n’y a plus de possibilités depuis 2020 d’obtenir des dérogations pour cause de force majeure – par exemple épandage sur neige ou sol gelé quand la fosse est pleine. Il faut envisager d’autres solutions provisoires comme le transfert vers la fosse d’un bâtiment d’élevage désaffecté, ou l’utilisation d’une poche souple (avec un investissement à prévoir de l’ordre de 35 €/m3 pour la poche et 15 €/m3 pour le terrassement. » Les éleveurs présents ont justement fait remarquer que les conditions météorologiques particulières de cet automne n’ont pas permis la vidange des fosses avant l’hiver…
Didier Tourenne met cependant en lumière l'enjeu économique de disposer d'une ressource locale de fertilisant azoté abordable. Il souligne que 75% de l'azote du lisier est minéral ou rapidement minéralisable, ce qui en fait une alternative avantageuse aux engrais minéraux coûteux. Cependant, il insiste sur la nécessité d'un épandage au bon moment, au printemps, pour éviter les pertes dans le milieu naturel. Pour réduire les pertes par volatilisation, diverses pratiques sont recommandées, telles que l'enfouissement, les buses de précision, le brassage pendant l'hiver, l'utilisation de chaux, et une attention particulière aux conditions d'épandage. Des aides financières peuvent contribuer à l'acquisition d'équipements adaptés. Didier Tourenne conclut en soulignant les travaux d'Interporc sur un indicateur économique visant à objectiver la valeur des lisiers, compte tenu de leur valeur fertilisante, estimant qu'elle se situe entre 6 et 10 €/m3, comparativement à 13,5 €/T pour du fumier. « La campagne d’analyse réalisée en 2012 par Interporc avait mis en évidence une forte variabilité des teneurs en azote, phosphore et potassium des lisiers porcins, selon le type d’élevage (type d’animaux, alimentation, couverture ou non de la fosse,...). Au sein d’un même type d’élevage, il subsiste une forte variabilité qui peut aller du simple au double. D’où l’importance de faire réaliser les analyses de son propre lisier pour ajuster au mieux son utilisation ! »
Alexandre Coronel