Technique
Restaurer des ceps atteints

Maladies du bois / Comment lutter contre les maladies du bois de la vigne ? Quels sont les avantages et les inconvénients des techniques comme le curetage, le regreffage ou le recépage ? François Dal du Sicavac Val de Loire et Guillaume Paire de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire ont répondu pendant une heure, le 3 février, dans un webinaire, aux questions sur les techniques permettant de maintenir la productivité des ceps atteints par les maladies du bois.

Restaurer des ceps atteints

Pionnier des techniques « curatives », François Dal a expérimenté et perfectionné plusieurs procédés, avant de transmettre ce savoir via des formations. « Ici, on va s’intéresser aux ceps déjà atteints par des maladies du bois et on va regarder les techniques, de la plus simple, moins chère, à la plus complexe », introduisait-il. Tout part de l’observation dans les vignes : si le pied est abîmé, nécrosé ou mort. « Attention, le porte-greffe reste souvent sain », alors que le greffon présente ces fameuses nécroses au-dessus. Ce bois sec et mort ne compromet pas le pied en dessous du nœud de greffage. « La technique de recépage peut alors être intéressante en préventif », rappelait-il. Comment décider alors ? Pour lui, mieux vaut réfléchir à la parcelle plutôt que pied par pied. « Lorsqu’il y a de plus en plus d’Esca par exemple, recéper est favorable à la parcelle mais n’aura pas d’intérêt s’il y a peu d’Esca », donnait-il en conseil général.Comment faire ? À l’ébourgeonnage, il faut garder les branches à la base du pied, attendre qu’ils soient suffisamment gros, de l’ordre du tiers du diamètre du tronc principal (après deux-trois années), pour permettre d’avoir un bon flux de sève dedans. Lors de la troisième année, c’est là généralement qu’il est possible d’éliminer l’ancien tronc et de former le nouveau pied avec ce courson. La coupe reste traumatisante et peut générer des « problèmes » sur les cépages sensibles, avec du curetage à l’avenir. « Mais le recépage est rapide et efficace », note le chercheur de la Sicaviac qui voit ainsi un bon moyen de « préserver le système racinaire en place tout en rétablissant des parcelles à problèmes ».

Recépage forcé

Deuxième technique présentée, le recépage forcé - qui s’apparente à « un quitte ou double » - lorsqu’un pied exprime déjà des symptômes d’Esca et que le vigneron n’a pas le temps d’intervenir. « Cela vous permet d’attendre trois-quatre ans ». Là, il s’agit de couper le pied juste sous la tête de souche pendant l’hiver. « Pas en été car le risque est de le voir recommencer son cycle » avec la maladie. En hiver, ce tronc de 20-30 cm de haut est à protéger par un manchon en plastique pour bien préserver les futurs rejets qui n’en pousseront que plus droits à l’intérieur. La campagne suivante, ces gourmands vont repartir. « Quand cette technique marche, c’est simple et efficace et vous ne perdez qu’une année de récolte. Plus le pied de vigne est vigoureux, plus ça marche en général ». Pour François Dal, la seule vraie précaution à prendre est de bien vérifier qu’il reste avant des « yeux vivants à la base du tronc de la vigne », notamment si la vigne a été soigneusement ébourgeonnée dans le temps, ce qui peut compromettre cette reprise. « Tester chez vous sur une vingtaine de pieds avant pour voir le pourcentage de reprise », conseillait-il. Pour le technicien de la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, Guillaume Paire, « sur des vignes ayant passé les 10 ans, il est difficile de se tourner vers cette méthode », déconseillait-il au vu des retours des vignerons Bourguignons qu’ils forment ou accompagnent.

Curetage

Si cette technique n’a pas fonctionné donc, que le tronc est mort mais que le porte-greffe est toujours en vie, alors viendra la technique du regreffage. Mais avant cela, il est possible « dans certaines configurations » de cureter le bois. « Comme un dentiste avec une carie, on va venir enlever l’amadou » à l’aide d’une petite tronçonneuse la plupart du temps. La bonne ouverture en deux du cep est cruciale, au risque sinon de mutiler le pied. De cette ouverture dépend souvent le temps passé ensuite à cureter. « L’idée est de ne pas passer plus de 10 minutes par pied ». Autant dire qu’il faut apprendre à le faire comme toute autre technique, dédramatisent les techniciens. « Cela se fait bien sûr taille guyot, c’est plus complexe en gobelet notamment palissé et c’est très difficile sur cordon ». 

Curetage

Même combat sur cépage chardonnay, le curetage doit être réalisé tôt et pas en cas de forme « brutale » (apoplectique) d’Esca.Le mieux est donc de cureter en hiver les pieds exprimant lentement la maladie. « L’objectif est de toucher le moins possible au bois vivant et d’enlever l’amadou ». Les deux premiers coups de tronçonneuse vont ainsi l’un vers l’autre, en V, pour dégager ce bois mort. Ce n’est que le début car tout amadou restant peut ensuite vite remonter dans la tête du pied et réexprimer la maladie. Il faut donc être consciencieux et bien gratter. « Cette opération est souvent spectaculaire car elle met à jour du bois vivant mais la sève circule en périphérie de l’écorce. Ce que vous enlevez, c’est du bois déjà mort ». Avec l’expérience et un bon outil, 1 min 30 suffit par pied. François Dal et Guillaume Paire conseillent de se servir de petites tronçonneuses. Les thermiques sont plus lourdes que celles électriques plus chères. « Mais après plusieurs milliers de pieds, pas forcément ». Le principal est d’avoir un petit guide « fin de sculpture ».

Pieds fragilisés ?

Les résultats sont souvent impressionnants visuellement mais le pied s’en trouve-t-il fragilisé pour autant ? Les essais menés sur 1.000 pieds curetés puis vendangés à la machine montrent qu’il n’en est rien. « Le bénéfice est supérieur au mal. 10-12 jours après le curetage, le pied repousse normalement sauf si vous avez laissé de l’amadou. Après 10 ans, la zone curetée devient grise et solide et le reste du cambium grossit et reprend de la force », constatent les experts. Là encore, la récolte « pleine » peut être envisagée l’année suivante. Cette technique demande du temps certes, mais François Dal la mettait en perspective avec les coûts de remplacement. « En un jour, vous pouvez envisager de cureter 100 pieds en guyot, 30 en cordon et 70 en gobelet ». Une question d’organisation et d’objectif propre à chacun. « C’est physique par contre et gare aux TMS », alertait Guillaume Paire qui invitait à répartir « ce travail de fond » sur l’hiver.

Cédric Michelin

Le regreffage pour les perfectionnistes

Dernière technique présentée, le regreffage qui ne supporte pas l’approximatif. « C’est la technique la plus complexe de toutes, tout ou rien. Le moyen ne marchera pas ». Après avoir décapité le porte-greffe jusqu’à atteindre une zone de tissus sains, il s’agit d’insérer deux greffons pour faire rentrer en contact les cambiums. Outre le fait de conserver des bois sains dans des conditions froides, de les stocker en fagot dans des frigos et de bien les réhydrater avant l’opération, le plus important sera alors que les points de biseau du greffon soient parfaitement droits. « Donc attention avec les greffoirs, s’il y a le moindre ventre, il n’y aura pas contact avec le porte-greffe ». Peu de matériel existe sur le marché. D’où le fait de mettre deux greffons pour doubler ses chances de réussite. Si la greffe prend, les bois referont des réserves et donneront des pousses. Après deux années, il sera possible d’espérer avec une demi-récolte puis une récolte pleine.

Des techniques coûteuses ?

François Dal et Guillaume Paire donnaient des points de repères économiques. Remplacer un pied (arrache, trou tarière, matériel végétal…) tourne autour de 8 € par plant au bas mot. La difficile technique de regreffage serait aux alentours de 3-4 €. Enfin pour le curetage, cette technique coûterait autour de 2,5 € par pied « en gardant la qualité du pied d’origine », précisait bien Guillaume Pair. « Ces techniques sont en réalité complémentaires et peuvent permettre de conserver 10-15 % de pieds productifs en plus sur votre parcelle. Mais cela nécessite une bonne organisation sur le domaine et nécessite une vraie technicité. C’est un investissement dans le temps long ». Guillaume Pair ne pouvant inviter les intéressés à se former, comme lui l’a fait auprès de François Dal. Mais il est « possible d’apprendre par soi-même à condition de savoir prendre du recul en cas d’échec ».